Langage et ontologie chez Husserl

La phénoménologie à travers la méthode de la réduction est d’abord et fondamentalement réduction ontologique : si la phénoménologie doit parler de l’être, il ne peut s’agir que de l’être du phénomène. La méthode phénoménologique veut que l’on se fasse une raison : de l’être hors du mode de l’apparaître nous ne dirons rien de sensé, puisque le procédé constitutif de la phénoménologie consiste à suspendre l’être transcendant des choses et du monde. On peut seulement disputer de l’être du phénomène, c’est-à-dire des relations que nous établissons entre les phénomènes, et des attributions que nous opérons à leur sujet, en utilisant le verbe être. En ce cas, la rigueur et la modestie imposent de ne voir dans l’être que la copule logique, l’ayant ainsi totalement débarrassé, « déminé » même, de tout aspect ontologique, en désignant par là toute teneur étrangère à la simple pensée. Il nous semble qu’une des grandes vertus de la phénoménologie husserlienne — au contraire de la réaction heideggerienne — est de tenir la promesse de la réduction, de la désontologisation de la pensée, véritable condition de l’autonomie de l’esprit. Là se trouve tout simplement résumé l’authentique projet de l’idéalisme transcendantal : « toute espèce d’étant, concret et idéal, devient intelligible comme formation de la subjectivité transcendantale… ».1 Mais cette catharsis semble projeter ses propres limites, dans la mesure où le fantasme ontologique paraît profondément inscrit dans notre usage de la langue. La fonction logique du verbe être est partout débordée par la référence à l’existence en soi des choses, à l’opposition étrange et constante entre l’apparence et l’être véritable des choses. Vouloir se défaire définitivement de l’aberrante et suicidaire adoration de l’être impliquerait que le phénoménologue échappe à sa langue, et aux tentations ontologiques qui la vicient. Nous voudrions pour cela suivre la stratégie husserlienne et apprendre de la méthode de la réduction, comment élargir la réduction au langage lui-même à travers le projet d’une langue phénoménologique (I). Peut-être sur ce chemin, parviendrons-nous à éclairer le sens que Husserl donne à l’ontologie (II), et enfin à dégager le sens véritable de l’ontologie du monde de la vie et l’anteprédicatif (III).

1. Le projet d’une langue phénoménologique

La ré-invention de la phénoménologie par Husserl suppose nécessairement la tentative de s’arracher à la pesanteur ontologique de la langue. Aussi la compréhension de l’enjeu de la réduction phénoménologique, comme son accomplissement, doit passer aussi par une réduction du langage, et des formes habituelles de l’écriture philosophique. Il est vrai qu’une telle ambition représente un terrible obstacle quant à la possibilité même de la démarche phénoménologique. Notamment la question posée, la question préalable, est celle de la validité du langage reflétant spontanément l’attitude naturelle, comme la croyance naïve et spontanée à l’être des choses. Effectuer la réduction devrait donc avoir pour conséquence de suspendre la croyance en la validité du langage, et la capacité du langage à dire l’être. Mais peut-on appliquer au langage la réduction ontologique ?

Chez Husserl la thématisation de l’expression et de son sens ontologique a lieu à partir de l’ interrogation sur la capacité du langage à faire exister des déterminations de pensée, comme les idéalités mathématiques ou l’objectivité du sens en général. En effet, il s’agit de savoir si le langage dans la phénoménologie joue le même rôle réifiant que le langage ordinaire, ou bien si l’on peut parler d’un « langage transcendantal » qui serait une forme d’expression adaptée à la recherche phénoménologique. On s’attend à ce que la phénoménologie mette entre parenthèses le langage constitué, pour dégager l’originarité du langage constituant. En effet, le phénoménologue veut se placer au plus près du sens de la perception, comme l’énoncent les Méditations cartésiennes, la recherche phénoménologique consiste à amener à l’expression complète de son propre sens « l’expérience pure et pour ainsi dire, muette encore ».2 En cela, la phénoménologie est forcément descriptive.

Pourtant la critique husserlienne de l’expression n’est pas si radicale, car Husserl reconnaît au langage la capacité de donner une objectivité au sens.3 Le langage préserve la vérité des idéalités géométriques, et lui permet de demeurer dans sa validité commune. En outre, le langage est la puissance de la tradition qui « thésaurise »,4 qui retient la validité au delà de la finitude individuelle. Même l’éventuelle objection contre son défaut de brouiller la signification pure dans la subjectivité et les connotations empiriques est minimisée par rapport à son avantage de permettre la communication : la communicabilité des idées géométriques ou des vérités pures est une des formes essentielles de la vérité. C’est d’ailleurs ce même point, concernant la puissance de l’écrit, que Merleau-Ponty dans sa lecture de L’origine de la géométrie relève : « c’est l’écrit qui fonde la permanence de l’idéalité hors des expériences d’Einfühlung. La préexistence de l’idéalité à toute expérience d’Einfühlung. Par l’écrit, la signification est virtuellement dans le monde […] L’écrit comme élément du monde sensible est erfahrbar in Gemeinsamkeit : son inter-existence sensible entraîne aussi une inter-existence du sens ».5 Le langage est la condition de réalisation de l’intersubjectivité,6 et donc de l’existence objective du sens pur. L’image de Husserl pur logicien est ainsi relativisée par la description de sa propre méthode de travail, où la répétition, la sédimentation, la méditation sont les conditions sous lesquelles la langue échappe à la représentation naïve du sens. La sédimentation n’est pas l’ennemi de l’idéalité ou de la vérité ; au contraire, comme on le voit dans la pratique même de l’écriture par Husserl, la répétition, la reprise inlassable des mêmes thèmes dans des couches multiples de rédaction, ou plutôt de manuscrits de recherche, est la condition d’accès à un nouveau plan d’exercice, à l’accomplissement de la réduction. Les exercices de méditations de Husserl si répétitifs, qui sont comme des brouillons, permettent de faire apparaître comme par un saut, enfin, l’essence recherchée. Comme le note Van Breda dans sa Préface aux Méditations cartésiennes,7 « Husserl ne pouvait pas penser sans écrire », ce qu’on pourrait résumer par l’expression du « denkend-schreibend ».8 C’est alors que toutes les implications contenues dans un énoncé sont révélées, qu’est libéré le sens total.9 Le langage n’est donc pas pour Husserl un obstacle à la constitution du sens, mais la condition de la traditionalité du sens, de sa retenue, et de son approfondissement. La critique du verbalisme paraît en ce sens étrangère à Husserl, alors même que l’on s’attend de sa part à opposer l’intuition qui donne la chose elle-même et le discours qui est une prise indirecte sur les choses. Quand Husserl note en marge de ses manuscrits, « je l’ai vu », ne fait-il pas autre chose que marquer l’authenticité du voir, du voir vivant par rapport à l’inactualité de la page remplie de signes ? N’avoue-t-il pas tout de même la supériorité de l’intuition, sur les grands discours, ou les expressions maladroites et tâtonnantes ? De ce point de vue, encore une fois, il serait trop simple d’opposer la validité de l’intuition et la faiblesse du monde des signes.10

La critique du lien qui unit la langue avec l’attitude naturelle n’ouvre pas sur le rejet du monde des signes. Il ne s’agit pas de rompre avec le discours, mais, en réduisant la croyance à l’être des choses qui entache la langue non philosophique, de manifester le sens propre de l’ontologie pour Husserl, qui ne décrit pas un être synonyme d’extériorité, de transcendance, mais est directement liée à la logique.

2. La réduction de l’ontologie à la logique

Le mot ontologie apparaît très souvent dans les textes de Husserl, dès les Recherches logiques,11 surtout dans les Ideen I et Ideen III et dans les derniers textes de la Krisis. Cela ne veut pas dire que la phénoménologie perde sa primauté à l’égard de l’ontologie. En effet, l’usage du mot ontologie chez Husserl conduit à certaines surprises liées à la question de la fondation du savoir. Il semble aussi que l’usage de ce concept nous permette de mieux cerner l’ambition de la phénoménologie comme forme dernière de la philosophie en tant que science.

Définition de l’ontologie

Elle n’est pas chez Husserl la science de l’être dans le même sens que la tradition métaphysique nous la donne. Elle est introduite avec l’examen des fondements de la logique, c’est pour cette raison que nous trouvons l’idée d’ontologie en premier lieu dans les Recherches logiques. L’ontologie est abordée sous l’aspect de la logique pure ;12 Husserl prétend après les malheurs de l’ontologie sous la critique kantienne, utiliser ce mot en faisant abstraction de toutes les références historiques qui y sont liées ;13 précisément la question se pose de l’adéquation du projet et du mot. Car Husserl ne prétendait pas revenir par là à une restauration du point de vue pré-critique de l’être comme prédicat, ni aux contradictions de la chose en soi kantienne. Il tourne délibérément le dos à la tradition. Ontologie veut dire pour lui une science ayant pour objet tous les objets que la pensée peut construire, en premier lieu l’objet mathématique. Il s’agit donc d’une théorie de l’objet produit par la pensée et non pas la théorie de ce qui est naturellement, d’un être indépendant et extérieur à la pensée. Il s’agirait, même de façon plus exacte, de la théorie de l’objectité, c’est-à-dire de tout ce qui existe comme objet visé par la pensée. Ce qui est pensé dans l’ontologie, c’est donc le produit du sujet pensant, par exemple les essences, les catégories de signification, cela ne ressemble en rien à ce que nous attendrions d’une ontologie comme révélation de la source de l’existence, de l’apparition. Tout au contraire, le statut ontologique des objets de cette science est lié à la puissance du jugement. Prise dans sa généralité, l’ontologie est ontologie formelle En cela, l’ontologie formelle est apophantique.

Ontologie et apophantique

La science générale de l’être est l’ontologie formelle. Elle est « la science essentielle de l’objet en général ». Husserl distingue l’ontologie formelle de l’apophantique formelle qui est « la science apriorique formelle du jugement, plus précisément du jugement prédicatif, de l’apophansis. ».14 L’apophantique formelle a pour objet les catégories de signification (concepts de proposition, de concept, etc.). L’ontologie formelle s’appuie sur les catégories d’objets (concepts de propriété, de qualité, de relation, d’identité, d’égalité, d’unité, d’ensemble, de tout et de partie, etc.). Mais à proprement parler les catégories dont s’occupe l’ontologie formelle n’ont d’usage que dans des jugements. Ainsi « il n’y aurait donc entre l’apophantique et l’ontologie formelle qu’une différence de raison, car ce ne sont que deux aspects d’une même science ».15 Nous dirons donc que l’ontologie formelle est essentiellement apophantique. Mais par ontologie formelle, il faut entendre aussi la forme de tous les objets possibles de jugement en général. Précisément avec l’ontologie, la définition de l’être est précisément soumise à la réduction du jugement. Juger, c’est d’ailleurs mettre en rapport une proposition et un état de choses. On ne doit plus parler de l’existence d’un fait pour dire ce qui est, mais de la validation du jugement par un remplissement, possible ou réel.16

Ainsi voit-on que l’ontologie formelle vide totalement le concept d’être de ses connotations réelles. L’ontologie vaut même comme science seulement en tant qu’elle est la science de la plus grande abstraction.17 De cette façon seulement, l’ontologie peut se prévaloir d’être au fondement des mathématiques et de la logique. En cela, d’ailleurs, l’ontologie confirme son équivalence avec l’apophantique. Elle n’est donc pas une science, au sens propre, car son objet se réduit non pas à un contenu, mais dans le meilleur des cas, comme la logique, à des règles. Il n’ y a pas à proprement parler de différence entre l’ontologie et la logique,18 comme science des jugements et des relations. Husserl définit l’équivalence entre les règles de l’ontologie formelle et de la mathématique pure.19

Nous voyons dans cette proposition si synthétique que l’être est maintenant totalement dépendant d’une fonction de prédication. L’être, hors des règles formelles de la logique, n’existe pas. Le critère de l’être est, de la façon la plus rigoureuse, celui de la cohérence, et de la possibilité de la prédication. En ce sens, il n’a pas de contenu qui n’ait rapport au fonctionnement de la pensée, tout ce qui est, est seulement « en tant que substrat(s) de sens prédicatif(s) possible » :20 Objectité. Cela veut dire qu’il y a visée, mais qu’il n’y a pas objet au sens plein. Cette objectité comme dernière manière de penser l’être ne permet pas de distinguer entre une position possible ou réelle. L’objectité ne vaut qu’à l’intérieur de la pensée, elle n’ouvre aucun horizon d’existence réelle. L’ontologie formelle est donc la forme universelle de pensée du possible.21 L’ontologie formelle définit le champ de la pure logique, de la grammaire pure logique, ce que Husserl appelle aussi la morphologie des significations. Elle est aussi la logique des catégories formelles de l’objet, et l’apophantique ou théorie de la présupposition. Husserl distingue l’ontologie formelle ainsi définie et l’ontologie matérielle qui a pour objet les sciences eidétiques qui fondent les sciences empiriques, par exemple les mathématiques qui fondent la physique. Le rapport entre les deux ontologies est ainsi formé : « l’ontologie formelle contient en soi en même temps les formes de toutes les ontologies possibles et […] elle prescrit aux ontologies matérielles une législation formelle commune ».22 Toutes les ontologies ont le même sort : « car toutes les ontologies […] tombent sous le coup de la réduction ». L’épokhé s’exerce en mettant ‘hors jeu’ l’être effectif ; la phénoménologie peut prétendre « receler en elle toutes les ontologies ».23 Cependant Husserl dans sa réflexion sur l’ontologie et l’être comme objectité rencontre la question de la primauté de la conscience sur l’objectité. Évidemment dans la théorie de l’intentionalité, c’est le sujet conscient qui pose l’être de ce qu’il pense, vise, ou juge. Si le sujet décide de l’être de ses pensées, s’il les rend simplement possibles, c’est que le sujet précède l’être de la pensée, et donc Husserl parle pour la position du sujet d’« Ur-sein ».24 Faut-il élargir la notion d’ontologie25 pour qu’elle enferme aussi la subjectivité ? Justement la subjectivité dont nous parlons n’est-elle pas par le fait même de la réflexion transformée en objectité idéale ? Ou bien ne faut-il pas reconnaître que la phénoménologie qui dégage le pôle constitutif du sujet transcendantal est au delà de l’être, au sens où elle excède infiniment la question de la simple possibilité, ou de la forme de possibilité. Pour récapituler, la phénoménologie nous montre l’ontologie comme science de l’objectité dans sa plus grande généralité et abstraction.26 L’être perd toute existence propre au profit du jugement. Mais paradoxalement l’être dont nous parlons a été transformé en savoir ; et comme tel il est l’objet de la réduction transcendantale. La phénoménologie saisit l’être ou l’objectité logique et le reconduit à son origine transcendantale. Nous observons ainsi dans des textes comme Expérience et jugement27 comment le logique se fonde sur une expérience originaire, celle du monde de la vie. Quelle valeur ontologique donner au monde de la vie ?

3. L’ontologie du monde de la vie et l’anteprédicatif  : Le monde de la vie

Le monde de la vie (Lebenswelt), comme expérience des affects infra-subjectifs, comme sol radical du vécu dévoilé par la réduction transcendantale, est l’ante-prédicatif, et échappe ainsi à la définition de l’être comme forme de la prédication, comme possibilité en général. Puisqu’il précède toute prédication, le monde de la vie ne peut rentrer dans la forme du discours, il ne se dit pas, ne se constitue pas selon les principes d’une signification objective.28 Aussi toute forme d’explication ne peut que le manquer, il faut seulement l’éprouver. Comme l’écrit Natalie Depraz « Le langage primordial de la phénoménologie, c’est le langage même de la perception, du sens perçu, en d’autres termes, husserliens, c’est un langage dont l’originarité est d’être l’ante-prédicatif ».29 On conçoit que, de cette façon, Husserl prétende aller en deçà du sens de l’être, comme objectité, retenu jusqu’à présent. Si nous parlions d’objectité et de possibilité pour essayer de qualifier le sens vague et abstrait de l’être dans l’ontologie formelle, il est question ici d’une « ontologie proprement transcendantale » car elle précède toute détermination logique.

Si l’ontologie formelle est purement une représentation de la position logique, l’ontologie du monde de la vie définit la radicalité du champ transcendantal. Le transcendantal, sous cet angle, n’entre pas dans les formes de la prédication, mais se trouve au contraire à la source de la prédication. Le champ transcendantal n’englobe pas l’existence des choses, mais seulement leur constitution. En cela, le transcendantal ne se confond pas avec la simple détermination empirique. L’empirique est objet de connaissance, tandis que le transcendantal signifie ici la constitution inconsciente qui soutient les conditions objectives de connaissance. Le transcendantal n’a en aucun cas cette forme de passivité et d’immobilité du domaine empirique ; le monde de la vie est au contraire constitué autour de l’activité des synthèses passives, c’est-à-dire inconscientes. Le transcendantal offre donc la possibilité d’une genèse des sciences et de la forme de la scientificité en général ; précisément la difficulté rencontrée par Husserl, (à laquelle voudra aussi s’attaquer Merleau-Ponty) est d’ achever complètement cette généalogie, de montrer comment les vérités les plus abstraites naissent du monde de la vie.30 Si le monde de la vie est étranger par définition à la forme d’un savoir objectif, l’expérience première qu’il nous offre, et dans laquelle la réduction nous demande de nous plonger, est celle d’une sorte de foi accordée à la perception, — la foi perceptive —, une certitude de l’impression présente, non pas que l’être des choses soit reconnu et jugé, il faut rappeler qu’on a justement fait abstraction de la position réelle des choses, de leur transcendance qu’on a mise entre parenthèses leur prétention à exister effectivement, mais le flux de la perception envahit totalement le vécu. Cette certitude d’être, au sens d’être affecté, est l’Ur-doxa, la forme primitive de savoir. Mais précisément cette doxa primitive, condition de tous nos intérêts, théoriques et pratiques, n’est pas constituée selon les règles du savoir. Il n’y a pas à ce degré d’affection, de distinction entre le sujet et l’objet. Nous nous trouvons avant la définition des limites respectives de l’intérieur et de l’extérieur, du moi et de l’autre.

Le sens de l’être absolu

Si le résultat de la réduction transcendantale consiste dans l’exigence d’une science du monde de la vie, cette exigence paraît contradictoire qui précisément se refuse à tout discours, puisque transcendantalement antérieure au discours. D’ailleurs, en toute rigueur, le monde de la vie n’est pas d’abord le produit d’une science,31 mais le résultat dernier d’une enquête généalogique. La signification du monde de la vie n’apparaît que pour celui qui tente de trouver en lui les éléments qui permettront de retrouver l’origine de la conscience et des sciences, donc la dimension téléologique portée en lui. La différence entre les synthèses passives qui orientent le vécu primordial, le monde de la vie, et les synthèses conscientes d’elles-mêmes de la logique ne parait alors tenir qu’à l’absence de thématisation de la passivité. Aussi peut-on lire le mouvement de prédication à partir de la continuité du vécu perceptif et de son recouvrement continuel : la relation de prédication dans ce cas est « archi-présente » dans la dimension première de la perception. Cette lecture qui s’avoue directement être une Rückfrage32 n’est pas autre chose pourtant qu’une manière de saisir différents degrés dans l’expérience du sujet : ».. avec le saisir réceptif va immédiatement de pair la mise en forme prédicative, et une activité de connaissance : on voit que ce qu’on a distingué, du point de vue génétique, comme autant de degrés différents, est ainsi inséparablement tissé l’un dans l’autre dans la concrétion d’une conscience —toujours il est vrai de telle manière que l’un se trouve édifié sur l’autre : chaque étape de la prédication présuppose une étape de l’expérience réceptive et de l’ex-plication ; originairement, il ne peut y avoir de prédication que de ce qui a été originairement donné dans une intuition, ressaisi et expliqué ».33 Certes le prédicatif n’existe que sur le sol d’une expérience ante-prédicative dont la structure est elle-même pré-logique, mais la différence entre les deux degrés d’analyse doit être maintenu par nous qui cherchons à isoler le sens de l’être, aux limites de la prédication ; nous ne sommes pas victimes de l’illusion de la connaissance, qui ne reconnaît comme existant que le connaissable ; le monde primordial, le vécu passif, ne peut pas se réfléchir sous une forme objective.

En lui-même le monde de la vie, est le monde universel des impressions, avant toute conscience et toute distinction objective. La Vie ainsi désignée est bien la source du sens, le flux des impressions qui traversent non pas un sujet, mais le vécu ; en ce sens, saisir le monde de la vie signifie faire retour dans le monde des impressions indistinctes qui ne sont pas ressenties par un sujet, mais qui sont seulement ressenties. La réduction intersubjective met au jour un monde commun originel, le monde de la chair, où les limites de la subjectivité individuelle s’effacent. Plus précisément, ce flux d’impressions, seulement éprouvées et non pas connues par un sujet lui même indistinct, se donne comme un chaos : ce flux n’est pas ordonné pour les besoins de la conscience et de l’action. Seul un regard rétrospectif et préoccupé de l’unification consciente des sciences et du langage peut lui donner la forme d’un discours cohérent. Ce que Husserl appelle le flux héraclitéen, qui serait le vrai fond de l’existence, ne répond pas à l’ordonnancement des dimensions du temps. Ainsi, de la même façon qu’il fallait, dans la réduction intersubjective, suspendre les limites fragiles de l’individualité, il s’agit dans la réduction du temps d’ aller au delà du système des rétentions et des protentions organisant le passage du temps, la cohérence d’une évolution. Nous trouvons alors dans la couche la plus profonde de la réduction du temps, le temps qui ne coule plus, la pure immanence du temps, le présent immobile. La difficulté est là : comment penser à partir de ce fondement radical l’élévation au sens ; une fois le temps réduit au Présent vivant, nous sommes dans l’intemporalité. L’absolu du monde de la vie est le temps comme source, mais source d’où la temporalité ne devrait plus s’écouler, car pourquoi l’intemporel devrait-il produire du temps ? Quel nécessité pour le flux chaotique des impressions de naître dans ce cadre absolu et intemporel ? L’analyse du monde de la vie, dans sa condition dernière ouvre bien sur la découverte d’un Absolu, qui sans doute parce qu’il est un vrai Absolu, est bien difficile à composer avec le relatif. Nous savons que le monde de la vie est d’étoffe temporelle et composé d’affections, mais nous savons que ce flux, dans la radicalité de la réduction, doit être reconduit à sa source, le fluant à l’unité incompréhensible du fluer. Dans ce cas, il ne peut plus rien être dit de cette source, car toute expression suppose déjà division et hétérogénéité. Le fondement absolu,34 le transcendantal originaire se refuse à la fois à la prédication et au savoir qui l’objectiverait. En ce sens, le fondement transcendantal pris comme le présent vivant, n’est plus de l’être (au sens qu’on lui a donné dans l’ontologie formelle) et n’est pas connaissable, ni objectivable.35

Le projet de la phénoménologie comme science universelle du fondement et de la transcendantalité36 ne peut laisser de côté le monde de la vie comme pur champ d’épreuve du transcendantal dans son sens radical. Aussi il ne faut pas se contenter du seul aspect de la question qui consisterait à penser le monde de la vie comme un premier terme irrationnel définitivement extérieur à la constitution du savoir.37 Dans la mesure même où l’on veut construire la constitution unitaire du savoir, et donc manifester la généalogie des sciences les plus abstraites à partir du fond premier de l’expérience sensible, alors le monde de la vie doit cependant bien être objet pour une science.38 Mais cette science qui étudie la constitution de la subjectivité prise en son sens le plus profond devra supporter le défi suivant : constituer comme savoir ce qui est préalable à la forme de l’objectivité, donc définir une science qui n’objective pas la subjectivité constituante.

Il n’est pas de Logos pour dire cette vie primordiale, si comme tente de le formuler Michel Henry, la vie n’est pas du visible, mais du pur affect. Le modèle de la vision, qui fonde le modèle occidental du Logos, trouve là ses limites. Si « le Logos pour autant que le rendre manifeste qu’il accomplit est un “faire-voir en se montrant” »,39 alors la visibilité est la racine de la division du savoir en sujet et objet. Le Logos-qui-fait-voir manque nécessairement la vie en tant qu’elle est justement en deçà de la distinction du sujet et de l’objet.


  1. Husserl, les Méditations cartésiennes, HUA I. 118, trad. B. de Launay, Presses universitaires de France, Paris, 1994, p. 133. ↩︎

  2. HUA I 77. ↩︎

  3. Voir L’origine de la géométrie HUA VI 369 trad. J. Derrida, Presses universitaires de France, Paris, 1968 p. 181 : «  :.. c’est par la médiation du langage qui lui procure, pour ainsi dire, sa chair linguistique. […] l’incarnation linguistique produit-elle l’objectif… ». ↩︎

  4. Cf. J. Derrida, introduction à l’Origine de la géométrie, op. cit. p 145 sq. ; voir Bruce Bégout, La généalogie de la logique, éd. Vrin, Paris, 2000, p. 250 à propos du nécessaire « déblaiement » du monde de l’expérience originaire envahi et masqué par l’idéalisation. ↩︎

  5. Merleau-Ponty Notes de cours sur l’origine de la géométrie (1960), éd. Presses universitaires de France, Paris, 1998, p. 169. ↩︎

  6. On retrouve chez Fichte, une appréciation semblable, dans la Wissenschaftslehre 1804 où le savoir n’est pas l’affaire du Moi mais du Nous, de l’intersubjectivité, dans la mesure où dans son acte d’attention, de purification, le Moi devient totalement sujet universel ; voir note du traducteur D. Julia, Doctrine de la science 1804 p. 149 et Thatsachen des Bewusstsein 1813 SW X 510 où la fonction « y » est distinguée du Moi empirique. ↩︎

  7. Voir Préface, HUA I p. XX. ↩︎

  8. Nous renvoyons pour cette question aux réflexions de Natalie Depraz dans Écrire en phénoménologie, éd. Encre marine, La Versanne, 1999, p. 61-67. ↩︎

  9. Ibid. l’exemple très parlant qui est pris p. 63, HUA XV 666 n° 38 : « L’homme et la Terre — des terres étrangères. Impliqué en lui les autres ego humains, l’humanité comme tout des monades : cette dernière comme mon humanité (mon tout des monades), l’humanité de ma Terre ». ↩︎

  10. Voir les Recherches logiques, tome II, 1 § 13 (trad. Presses universitaires de France, Paris, 1969, p. 56). ↩︎

  11. Recherches logiques, tome I (Prolégomènes) (234) trad. Presses universitaires de France, Paris, 1959 p. 258. ↩︎

  12. Logique formelle et logique transcendantale (75), trad. Presses universitaires de France, Paris, 1957, p. 118, § 27 : « L’idée d’une ontologie formelle se présente pour la première fois à ma connaissance, dans la littérature philosophique, au tome I de mes Recherches logiques et cela dans l’essai de déploiement systématique de l’idée d’une logique pure ». ↩︎

  13. Essai de préface pour la seconde édition des Recherches logiques (1913), trad. Presses universitaires de France, Paris, 1975, p. 384 (Articles sur la logique) : « dans mes recherches […] l’idée de l’ontologie reprenait vie d’une manière propre, sans reposer sur aucun appui historique, et en étant aussi par là exempte des obscurités et des erreurs radicales qui affectaient les ontologies anciennes et qui ont justifié la résistance qu’on leur opposait ». ↩︎

  14. Voir Husserl Ideen I HUA III 248 trad. P. Ricœur, éd. Gallimard, Paris, 1950, p 407 & commentaire de Suzanne Bachelard. La logique de Husserl, Presses universitaires de France, Paris, 1956, p. 89. ↩︎

  15. Logique formelle et logique transcendantale §42 (116 sq.) trad. p. 151 sq. : « leur séparation est en même temps pourtant une équivalence » ; « pour cette raison elles ont à fonctionner comme une seule et même science » voir Bachelard, la Logique de Husserl et J.L. Marion Réduction et donation, Presses universitaires de France, (1989), p. 227. « Il n’y a pas comme Husserl le reconnaît de véritable différence entre apophantique et La différence est bien elle même aussi formelle car la visée d’un objet dans le jugement ne vaut qu’à travers l’intentionalité, et l’intentionalité elle même vise toujours l’objet ». ↩︎

  16. S. Bachelard, op. cit. p. 129 : « Une fois que s’éveille cet intérêt de connaissance, l’existence pure et simple devient existence intentionnée, existence telle qu’elle est présumée. L’intentionné a besoin d’être confirmé pour être reconnu comme étant vraiment et réellement. Nous retrouvons ainsi la distinction husserlienne entre les jugements qui ne sont que des opinions par lesquelles on présume que les choses sont telles et telles et entre les jugements remplis au contact des choses mêmes. » ↩︎

  17. Voir J.L. Marion, op. cit. p. 225 : « Mathématique et logique ne se fondent en une ontologie qu’autant qu’elles accèdent à une seule formalité — l’objectivité la plus vide et abstraite du quelque chose quelconque. Inversement l’ontologie ne devient possible qu’à la condition de son absolue abstraction. ». […] « L’ontologie formelle a vidé complètement le sens du mot être en l’identifiant à l’abstraction la plus vague. On ne peut pas tant parler à ce propos d’ontologie que d’apophantique, car la théorie du jugement est justement la forme de toute objectité. L’être n’a de sens que comme objet du jugement. […] La logique remplit sa tâche comme science de la science et comme science des jugements. Elle vise à la fois l’étant et le jugement porté sur l’étant. Il n’y a pas d’authentique expérience de l’être ou d’accès à l’être qui ne soit médié par le jugement ». Et Bachelard op. cit. p. 134 : « l’idée de la nature avant tout acte de jugement est une idée muette si on ne la conçoit pas à partir de la sphère prédicative et pour celui qui juge en tant que tel, seule a de la valeur la nature qui reçoit une forme catégoriale dans le juger ». ↩︎

  18. Cf. Marion, op. cit. p. 227-228 : « L’ontologie formelle devra donc, tout en demeurant dans le domaine de l’objectité déjà acquis par l’apophantique, en user ontologiquement, grâce à la transgression intentionnelle — étant entendu que l’intentionnalité, puisqu’elle montre l’objet, jamais ne se montre elle même, comme un nouveau concept apte à discriminer l’attitude ontologique de l’attitude formelle. La séparation supposée stricte entre la logique et l’ontologie se résume en une inconceptualisable transgression, sans discriminem objectif dans le champ commun. La conquête husserlienne d’un domaine propre à l’ontologie trouve une irrésoluble limite dans l’ambivalence indécidable de l’objectité. ». ↩︎

  19. Logique formelle et logique transcendantale (170) § 76 trad. p 259 : « … les lois formelles de la simple noncontradiction deviennent des conditions de possibilité de la vérité et peuvent être énoncées comme telles. L’analytique mathématique pure se convertit alors […] en une doctrine analytique et authentique de la science, ou ce qui est équivalent, en une « ontologie formelle ». ↩︎

  20. Philosophie première, I HUA VII 28 trad. Presses universitaires de France, Paris, 1970, p. 39  « La théorie du quelque chose ou du quelque chose en général, c’est-à-dire des objets en général en tant que substrats de sens prédicatifs possibles, devant pouvoir être jugés avec cohérence dans le progrès d’une prédication, telle est l’origine formelle. Elle n’est qu’une manière corrélative de considérer la doctrine des jugements cohérents et conséquents. Une logique apophantique conçue dans dans son entière portée est par elle-même une ontologie formelle, et inversement une ontologie formelle entièrement déployée est par elle même une apophantique formelle ». ↩︎

  21. voir Logique formelle et logique transcendantale introduction (11), trad. p. 18 : « S’il paraissait aller de soi qu’une science qui se rapporte avec cette universalité à tout et à n’importe quoi, à tout possible et à tout pensable, méritait le nom d’une ontologie formelle, il fallait alors, si elle devait être effective, que la possibilité des objectités de son domaine fût fondée par intuition » et Idee der vollen Ontologie HUA VII 213 : « L’ontologie construit le logos d’un monde possible en général, ou encore elle est la science des formes possibles, des formes disjonctivement nécessaires des mondes possibles, tels qu’ils doivent finir par pouvoir être ». ↩︎

  22. Ideen I, § 10 HUA III 22 (trad. p. 40). ↩︎

  23. HUA I 72. ↩︎

  24. Le premier sens du mot être vaut pour le Je, il n’est qu’a posteriori pour l’objet ou le monde. Cette différence entre les sens du mot être dans ce contexte introduit une difficulté pour penser l’universalité du mot être. Peut-on dire, à cause de sa primordialité, que le mot être pour le sujet vaut comme « Urkategorie des Seins » ? voir Ideen I §76 HUA III p. 174 Mais l’Ur-être est-il bien l’être dont on parle à travers les catégories de l’ontologie formelle ? ↩︎

  25. L’idée que la phénoménologie est la science radicale qui permet d’identifier la question ontologique prend tout son sens avec le contexte de l’opposition à Heidegger : voir les Conversations avec Cairns (11 mai 1932) : « ainsi en arrive-t-on à une philosophie première qui soit antérieure même à l’ontologie et consiste en une analyse de la structure nécessaire d’une subjectivité »(trad. éd. Millon, Grenoble, 1997, p. 168). ↩︎

  26. Les distinctions opérées par Husserl, entre les ontologies régionales, et la région formelle n’apporte pas plus de contenu positif au sens de l’ontologie. Rappelons ces distinctions : La Notion de région est définie dans les Idées I § 8 (HUA III 18) : « les communautés d’essence découpent l’ensemble des individus déterminés concrètement en “régions”. À l’intérieur de chaque région, on trouve une hiérarchie de concepts qui subordonne le moins général au plus général : par exemple le concept de triangle est subordonné au concept de forme spatiale. De telles régions à leur tour pourront être subordonnées à des régions plus générales. » (Bachelard p. 92). La Notion de région formelle nous confirme le sens très abstrait que nous donnions à l’être, sa qualification en région formelle, comme forme vide de région, explicite la primauté de la prédication sur le contenu : « Si nous adoptons cette façon de parler nous ne devons pas le faire sans précaution… Ce qu’on appelle “région formelle” n’est pas quelque che se qui est coordonné aux régions matérielles (aux régions pures et simples) ; ce n’est pas à proprement parler une région, mais la forme vide de région en général ; toutes les régions, ainsi que les particularisations eidétiques d’ordre matériel qu’elles enveloppent, ne sont point à côté d’elle mais sous elles (en un sens purement formel toutefois) », Ideen I § 10 (HUA III 22 trad. p 39-40). ↩︎

  27. Par exemple l’instructif chapitre III d’Expérience et jugement sur la saisie des relations et ses fondements dans la passivité. ↩︎

  28. Cf. J.M. Vaysse dans l’article Ontologie et phénoménologie, revue Kairos n °5, Toulouse le Mirail, 199, p. 211 : « Parlant de la Lebenswelt antéprédicative, Husserl pose une transcendance du sensible qui est un monde originaire de vie que toute discursivité présuppose et qu’elle manque nécessairement. Il y a donc un croire hétérogène au savoir, un silence de la foi perceptive qui met en échec le discours. […] L’entreprise phénoménologique serait donc foncièrement contradictoire en voulant désigner par le langage un signifié pré-logique dans l’être ». ↩︎

  29. Écrire en phénoménologie, éd. encre marine 1999, p. 91. ↩︎

  30. Il s’agit de fonder la science sur la structure du perçu. Voir J. M. Vaysse, loc. cit. p. 215 : « Les structures perçues permettent de comprendre comment les opérations logiques se construisent sur l’expérience perceptive ». ↩︎

  31. Cette généalogie à l’opposé du modèle des sciences positives et naturalistes est de revenir au monde de la vie. Ce qui suppose passer du monde de l’intuition à son appellation comme monde de la vie. Le projet de Husserl est d’aller en deçà du monde étudié par la science. Tout le problème se trouve dans le rapport du monde abstrait au monde concret. On sait notamment la condamnation (HUA VI 113) de l’idée d’un monde vrai qui existe indépendamment de sa source vivante. ↩︎

  32. Sur cette question de la méthode de la logification après coup, voir les formules très claires de Bruce Bégout, p. 312 op. cit. ↩︎

  33. Expérience et jugement, § 49, (240) trad. éd. Presses universitaires de France, p. 245. ↩︎

  34. On peut se rapporter à la qualification de l’Absolu phénoménologique par Vaysse p. 208 dans l’article Ontologie et Phénoménologie, revue Kaïros n° 5, 1994 : « C’est au sein de la hylé, de ce sensible non sensible, qu’il faut chercher l’origine de toute constitution, c’est-à-dire de l’absolu. Il y a identité de l’absolu et de la sensation ». ↩︎

  35. Voir sur la déchéance du devenir dans la généalogie, J. Derrida Le problème de la genèse, Presses universitaires de France 1990, p. 190. ↩︎

  36. Ibid. p. 202 : « il serait injustifié d’imposer à la transcendantalité des exigences qui proviennent de l’objectivité ». ↩︎

  37. Il s’agit bien au contraire de construire une authentique science, dont l’objet serait « l’a priori ontologique ». Les sciences ordinaires ne saisissent pas « l’a priori ontologique » et « afin de leur permettre une rationalité supérieure, il faudrait que celui-ci devienne le thème d’une science apriorique » et Husserl affirme avec constance, chercher « une ontologie, la science universelle du monde concrète », car « L’ontologie concrète du monde de la vie est le fondement des sciences ». (Voir HUA XIX p. 147 sq.). ↩︎

  38. Husserl fait ainsi l’hypothèse d’une science de l’essence de la subjectivité prise dans sa constitution vivante la plus profonde, et la plus large, recoupant à la fois la constitution transcendantale de la science, de l’intersubjectivité, de la formation de l’individualité : Krisis HUA VI 182-183 trad. p. 203 : « Mais cependant la pleine factualité concrète de la subjectivité transcendantale universelle est saisissable scientifiquement en un autre sens, parfaitement légitime, précisément par le fait qu’il est effectivement possible et nécessaire dans la méthode éidétique de proposer la grande tâche suivante : soumettre à la recherche la forme d’essence des prestations transcendantales dans toute la typique des prestations individuelles et des prestations intersubjectives, soit l’ensemble de la forme d’essence de la subjectivité transcendantale dans ses prestations, sous ses formes sociales ». ↩︎

  39. Michel Henry, Phénoménologie matérielle, Presses universitaires de France, 1990, p. 122. ↩︎