Emmanuel Levinas : la défense de la subjectivité ou le retour à l’humain

1. Introduction

La pensée de Levinas est une « critique de la totalité qui est venue en effet après une expérience politique que nous n’avons pas encore oubliée ».1 Et cette expérience, nous le savons bien, est celle de la persécution nazie.2

C’est donc à toute la philosophie occidentale que Levinas s’en prend parce que « la philosophie occidentale a été le plus souvent une ontologie : une réduction de l’Autre au Même, par l’entremise d’un terme moyen et neutre qui assure l’intelligence de l’être. Cette primauté du Même, ajoute Levinas, fut la leçon de Socrate. Ne rien recevoir d’autrui sinon ce qui est en moi, comme si, de toute éternité, je possédais ce qui me vient du dehors ».3 Mais de façon plus explicite, c’est à l’ontologie fondamentale de Martin Heidegger que Levinas s’attaque parce qu’elle couve les germe totalitarisme, puisqu’elle est une philosophie du Neutre et, comme telle, une négation de la subjectivité humaine.

Ainsi, la critique de la totalité chez Emmanuel Levinas est en réalité une défense de la subjectivité. Dans ce travail, nous voulons montrer que cette défense de la subjectivité passe justement par la sortie de l’être.

En fait, c’est pour défendre la subjectivité que Levinas a compris depuis 1935, avec De l’évasion, qu’il fallait sortir de l’être ou, plus précisément, du climat de la philosophie de Martin Heidegger, comme il expliquera plus tard dans De l’existence à l’existant : « Si au debut, nos réflexions s’inspirent dans une large mesure de la philosophie de Martin Heidegger, elles sont (maintenant) commandées par un besoin profond de quitter le climat de cette philosophie et par la conviction que l’on ne saurait en sortir vers une philosophie qu’on pourrait qualifier de pré-heideggérienne ».4 C’est donc la sortie de l’être qui est le fil conducteur de la pensée de Levinas. Elle s’est effectuée de façon progressive. Dans un premier temps c’est la jouissance que Levinas oppose à l’existence anonyme de Heidegger qu’il appelle l’il y a dans De l’existence à l’existant. Mais, en réalité, c’est dans le langage — l’expression du visage — et la conscience morale que culmine la rupture de la totalité.

La défense de la subjectivité ne se fait donc pas dans le sens de Kierkegaard. La subjectivité dont il est question ici ne s’identifie pas avec l’égo ? sme d’un moi qui se refuse au système,5 mais elle coïncide avec la conscience morale, la responsabilité pour l’autre homme.

2. Exposé de l’ontologie fondamentale de Martin Heidegger

Pour défendre la subjectivité humaine il faut d’abord sortir de l’être heidegerien. D’où le titre explicite du premier ouvrage philosophique de Levinas, De l’évasion (1935), qui se caractérise, d’après l’introduction de Jacques Rolland, par un conflit latent avec Heidegger dont le nom n’est jamais prononcé.6 Mais ce conflit encore latent en 1935 deviendra ouvert en 1947 dans De l’existence à l’existant où Levinas signale explicitement l’urgence de quitter le climat de la philosophie de Martin Heidegger.

En fait, Levinas n’a jamais caché son admiration pour Heidegger. Dans Éthique et infini il dit : « Je pense, malgré ces réserves, qu’un homme qui, au 20ème siècle, entreprend de philosopher, ne peut pas ne pas avoir traversé la philosophie de Heidegger, même pour en sortir. Cette pensée est un grand évènement de notre siècle ».7 Mais ce qui est intéressant pour nous ici, c’est qu’il précise que son admiration pour Heidegger est uniquement l’admiration pour L’être et le temps où « 1933 était encore impensable ».8 Et 1933 c’est l’année du discours du Rectorat — Qu’est-ce que la métaphysique ? — dans lequel Heidegger, d’après les analyses de Jacques Derrida, conferait au national socialisme sa « légitimité spirituelle la plus rassurante ».9

Pourquoi tant d’admiration pour L’être et le temps ? En fait, ce qui constitue le mérite de Heidegger c’est la différence ontologique. Heidegger a établi la différence entre l’être comme verbe et l’être comme substantif, et a établi une distinction entre l’ontologie et les sciences ontiques. L’erreur des antiques, d’après Heidegger, c’est justement le fait d’avoir compris l’être tout simplement comme étant et d’avoir confondu l’ontologie avec les sciences ontiques.10 En procédant de cette manière, ils ont oublié l’être comme verbe, ils ont oublié la question fondamentale qui est celle du sens de l’existence. C’est ce que Heidegger appelle l’oubli de l’être, l’élément caractéristique de la métaphysique ou la philosophie issue d’Aristote. Sa philosophie est donc un dépassement de la métaphysique qui est en même temps un retour à ses origines, un retour au sens du mot « être ». Une ontologie, si l’on veut, mais alors une « ontologie fondamentale », qui n’a rien de commun avec l’ontologie traditionnelle.11

D’après Heidegger l’ontologie est la compréhension du verbe être. Plus précisément elle est la compréhension de l’être de l’homme, car l’homme est le seul étant qui ait la capacité de s’interroger et de refléchir sur son être. Ainsi, après avoir rayé d’un trait de plume vingt-cinq siècles de pensée, Heidegger doit se frayer une nouvelle voie vers l’être. Et cette voie, d’après Heidegger, c’est nous-mêmes. L’analyse de l’existence humaine devient la seule voie d’accès possible à la métaphysique. L’ontologie devient l’analyse de la quotidiennité, l’analyse de la façon donc l’homme exerce sa tâche d’être. Ce qu’il appelle herméneutique de la facticité ou analytique existentiale du Dasein. Et si les catégories, selon Aristote, étaient les modes générales d’être des étants,12 les existentiaux sont les modes générales d’être de l’homme, ses différentes possibilités. Et comme l’être n’est plus un substantif mais un verbe, ce sont les existentiaux qui deviennent les catégories de l’être.

L’être de l’homme se caractérise par le fait de se trouver devant plusieurs possibilités et une étude de l’homme doit considérer toutes ces possibilités. Ainsi l’homme est « pouvoir être », son mode d’être propre n’est pas la réalité mais la possibilité. Il n’est pas un existant — quelque chose de déterminé, une présence — et c’est ce qui le distingue des autres choses, c’est-à-dire le fait qu’il n’est pas déterminé mais possibilité. C’est un ex-esitant, c’est-à-dire quelque chose qui est en dehors de l’existence, une possibilité, un projet, une marche vers. Mais une marche vers la fin. Et c’est cette relation de l’homme avec sa fin entrevue comme néant qui crée l’angoisse, une peur, mais une peur qui est la peur de rien, un sentiment du néant.13 Malheureusent l’homme n’y peut rien. Il ne peut rien y changer. Car, ce qui caractérise le Dasein heideggérien c’est la précompréhension,14 le fait d’être toujours déjà auprès des choses, jété et abandonné dans un monde considéré comme une totalité d’instruments, rivé à ses possibilités sans possibilité de recul.15

16. Un excès d’être qui étouffe16 : la critique lévinassienne de l’ontologie fondamentale de Heidegger

Selon Levinas, la compréhension de l’homme uniquement à partir de l’être réduit la vie humaine en une existence anonyme, égale pour tous. Et, comme telle, est une atteinte à la subjectivité et à la liberté humaine, elle est un excès d’être qui étouffe, un ontologisme. Elle pose les bases de la totalitarisation et les bases d’une conception biologiste de l’homme : « l’homme ne se trouve plus devant un monde d’idées où il peut choisir par une décision souveraine de sa libre raison sa vérité à lui. Il est d’ores et déjà lié avec certaines d’entre elles, comme il est lié de par sa naissance avec tous ceux qui sont de son sang ».17 Ainsi la relation de l’homme à l’être est semblable à sa relation avec la race. Je suis prisonnier de mon être comme je suis prisonnier de ma race. Sur mon être-pour-la-mort comme sur ma race je ne peux rien changer. Ma relation à l’être, comme ma relation à la race, correspond à la fin de la liberté de l’esprit.18 C’est cette similitude entre l’être et la race qui constitue le lien étroit ou la complicité entre l’ontologie fondamentale de Heidegger et l’hitlérisme. Et c’est pour cela que Levinas pouvait définir l’hitlérisme en 1934 comme « un évènement ontologique ». En d’autres termes, si ce lien n’était pas encore envisageable en 1927 lorsque tout le monde lisait Sein und Zeit avec beaucoup d’enthousiasme, il devint évident dès 1933 lorsque Heidegger commença à identifier l’esprit avec la race et surtout lorsqu’il commença à ne reconnaître l’esprit que dans les dirigéants. « Le propre de l’esprit est d’unir »19 dit Heidegger dans son Discours du Rectorat, qui selon Derrida fut la célébration inaugurale de l’esprit. « L’esprit est en tête et au plus haut niveau, puisqu’il conduit ceux-là mêmes qui conduisent. Il précède, prévient et donne la direction à suivre ».20 « Heidegger confère ainsi [à l’hitlérisme] la légitimité spirituelle la plus rassurante et la plus élévée à tout ce dans quoi et à tous ceux devant qui il s’engage, à tout ce qu’il cautionne et consacre ainsi à une telle hauteur. On pourrait dire qu’il spiritualise le national-socialisme. Et on pourrait le lui reprocher, comme il reprochera plus tard à Nietzsche d’avoir exalté l’esprit de vengeance dans un esprit de vengeance spiritualisé au plus haut point.21

On comprend donc pourquoi dans un passage assez illuminant de Difficile liberté Levinas décrit l’expérience de la persécution nazie avec des termes spécifiquement heideggeriens pour dénoncer cette complicité entre l’hitlérisme et l’ontologie fondamentale de Martin Heidegger : « Je voudrais rappeler, devant les représentants de tant de nations dont quelques-unes n’ont pas de juifs dans leur sein, ce qu’ont été, pour les juifs d’Europe, les années 1933-1945. Parmi des millions d’êtres humains qui y trouvèrent la misère et la mort, les juifs firent l’expérience unique d’une déréliction totale. Ils connurent une condition inférieure à celle des choses, une expérience de la passivité totale, une expérience de la Passion […], la persécution raciale qui est absolue, puisqu’elle paralyse, par son intention même, toute fuite, refuse à l’avance toute conversion, interdit tout abandon de soi, toute apostasie au sens étymologique du terme et touche par là l’innocence même de l’être rappelé à son ultime identité ».22 Le terme « déréliction » ici employé fait directement allusion à la Geworfenheit heideggerienne. La « condition inférieure à celle des choses » que connurent les juifs pendant cette déréliction est ce que Levinas, dans De l’existence à l’existant, et dans Le temps et l’autre, appelle l’il y a ou l’existence anonyme. Et l’impossibilité d’échapper à cette persécution — par la conversion ou l’apostasie — est ce que Levinas, dans De l’évasion, appelle l’emprisonnement le plus radical, l’enchaînement à l’être. Comme nous l’avons vu plus haut, comprendre l’autre homme uniquement à partire de l’être — l’analytique existentiale du Dasein — c’est nier sa liberté. Si l’existence humaine est comprise uniquement à partire de l’effectuation de l’être — l’essance ou l’existence — elle devient une marche vers la mort sur laquelle je ne peux rien. La vie humaine se réduit alors à naître-vivre-mourir.23 L’existence humaine devient une existence égale pour tous, une existence générique et anonyme. Et c’est cette existence qui devient la vérité ou l’essence même de l’homme, être-pour-la-mort. Cet être embarqué, cette existence sans sujet qui l’assume, cette existence impersonnelle et anonyme, pose les base du totalitarisme, car elle est la négation de la liberté et de l’unicité, et, par conséquent, la subordination de l’individu au groupe, à la totalité. De sorte que le rapport entre l’homme et l’être devient le même qui existe entre l’homme et la race. Je n’ai pas choisi d’être comme je n’ai pas choisi ma race. Sur mon être comme sur ma race je ne peux absolument rien faire. C’est pour cela que la persécution raciale est la plus radicale puisqu’elle n’admet ni conversion ni apostasie : je ne peux pas changer ma race, je ne peux pas changer ce que je suis sans l’avoir choisi. Ainsi l’ontologie fondamentale de Martin Heidegger pose les bases d’une anthropologie fondée sur la race et, par conséquent, les bases de la persécution la plus radicale.

4. La défense lévinassienne de la subjectivité humaine

L’ontologie, d’après Levinas, est incapable de justifier le droit de l’autre homme à être et à être différent, car « l’être a une essence englobante, absorbante, emmurante »,24 totalisant. Pour défendre l’extériorité il faut donc sortir de l’être. Et pour sortir de l’être, Levinas exploite la verbalité de l’être ou l’existence qu’il avait autrefois découvert chez Heidegger. Il effectue une espèce d’analyse de la quotidiennété ou analytique existentiale qui ne réduit pas la vie humaine à une existence anonyme mais qui se conclut par l’affirmation de la différence à travers les expériences de la jouissance et du langage.

En fait, selon Levinas, mon exister constitue l’élément absolument intransitif. On peut tout échanger entre êtres, sauf l’exister. Il est le lieu de la séparation. Parce que l’existence humaine n’est pas une simple marche générique — égale pour tout le monde — vers la fin. Elle est une vie de travail et de nourriture. La vie est originellement vie de quelque chose, elle est jouissance. Or, « la jouissance est un retrait en soi, une involution ».25 En d’autres termes, « dans la jouissance, je suis absolument pour moi. Égoïste sans référence à autrui — je suis seul sans solitude, innocemment égoïste et seul ».26 « La jouissance accomplit la séparation athée : elle déformalise la notion de séparation qui n’est pas coupure dans l’abstrait, mais l’existence chez soi d’un moi autochtone ».27 La vie humaine n’est pas un tragique aller vers la mort, elle n’est pas l’exécution d’un programme, d’une essence ou d’un destin, elle est originellement vie de quelque chose, elle est jouissance, bonheur, indépendance, arrachement à l’être pur : « Nous vivons de “bonne soupe”, d’air, de lumière, de spectacles […]. Ce dont nous vivons n’est non plus “moyen de vie” […]. Les choses dont nous vivons ne sont pas des outils, ni même des ustensiles, au sens heideggerien du terme. Leur existence ne s’épuise pas dans le schématisme utilitaire qui les dessine […]. Elles sont toujours dans une certaine mésure, objets de jouissance, s’offrant au “goût”, déjà ornées, embellies […]. Les contenus dont vit la vie ne lui sont pas […] comme le carburant nécessaire au “fonctionnement” de l’existence. Ou, du moins, ils ne sont pas vécus comme tels. Avec eux, nous mourrons et, parfois, préférons nous mourir que d’en manquer ».28 « Il n’est peut-être pas juste de dire que nous vivons pour manger, il n’est pas plus juste de dire que nous mangeons pour vivre ».29 « Quand il faut manger, boire et se chauffer pour ne pas mourir, quand la nourriture devient du carburant, comme dans certains travaux durs, le monde aussi semble à sa fin, renversé, absurde, devant être rénové ».30 En temps normal, « nous respirons pour respirer, mangeons et buvons pour manger et boire, nous nous abritons pour nous abriter, nous étudions pour satisfaire à notre curiosité, nous nous promenons pour nous promener. Tout cela n’est pas pour vivre. Tout cela est vivre ».31

La jouissance signifie donc une rupture de la totalité. Car, dans la jouissance chaque personne existe comme séparée des autres. Ainsi, le fait de se trouver dans le monde, de s’y trouver installé, de s’occuper des choses, de s’attacher à elles, d’aspirer à les dominer — le souci des choses — ne constituent pas une chute, une fuite, une inauthenticité ou une non-vérité devant la finalité dernière qu’impliquent ces besoins eux-mêmes. « Le train-train de notre vie quotidienne n’est pas une simple séquelle de notre animalité constamment dépassée par la vie de l’esprit ».32 « Notre vie quotidienne est déjà une manière de se libérer de la matérialité initiale par laquelle s’accomplit le sujet ».33 En outre le monde n’est pas le Da du Dasein heideggerien. Nous ne sommes pas jétés et abandonnés dans le monde. Il est plutôt le lieu du repos, le lieu du sommeil. « C’est le monde où nous habitons, où nous nous promenons, où nous déjeunons et dînons, où nous rendons visite, où nous allons à l’école, discutons, faisons des expériences et des recherches, écrivons et lisons des livres. C’est le monde où Abraham faisait paître ses troupeaux, où Isaac creusait des puits, Jacob constituait sa maison, où Épicure cultivait ses jardins et où chacun est à l’ombre de son figuier et de sa vigne ».34 « Ce qui semble avoir échappé à Heidegger — s’il est vrai toute fois que quelque chose ait pu échapper à Heidegger en ces matières — c’est qu’avant d’être un système d’outils, le monde est un ensemble de nourritures ».35

Levinas oppose donc à Heidegger le fait banale que nous mangeons et que chacun de nous à ses goûts. Si je vous invite prendre un verre je ne peux pas vous imposer la même boisson. Je vais demander à chacun ce qu’il boit. Si je vous impose une boisson, alors je ne vous traite plus comme des hommes libres, mais comme des prisonnier ou comme un troupeau de moutons. Si nous choisissons donc ce que nous mangeons et ce que nous buvons, cela suffit pour dire que notre existence n’est pas générique, elle n’est pas la même pour tout le monde et cela suffit déjà pour dire que nous ne sommes pas rivés à nos possibilités.

Levinas ne se limite pas à l’expérience de la jouissance. Il oppose aussi à Heidegger l’expérience du langage. Précisons tout de suite que le langage dont parle Levinas n’est pas une étude de signes verbaux. Ce qui intéresse à Levinas ici, c’est l’essence même du langage. Et l’essence du langage c’est la différence, c’est l’existence d’une pluralité qui n’est pas numérique mais qui est réelle. « La parole procède de la différence absolue ».36 Pour qu’il y ait langage, « il faut qu’un être, fût-il partie d’un tout, tienne son être de soi et non pas de ses frontières — non pas de sa définition — existe indépendamment, ne dépende ni des relations qui indiquent sa place dans l’être, ni de la reconnaissance que lui apporterait Autrui ».37 Dans L’ontologie est-elle fondamentale ?, Levinas écrit : « L’indépendance d’autrui ne s’accomplit-elle pas dans son rôle d’interpellé ? Celui à qui on parle est-il, au préalable, compris dans son être ? Nullement […]. Comprendre une personne, c’est déjà lui parler […]. Je lui ai parlé, c’est-à-dire j’ai négligé l’être universel qu’elle incarne pour m’en tenir à l’étant particulier qu’elle est ».38 En d’autres termes, lorsque j’adresse la parole à une personne, je reconnais par ce fait même qu’elle est différente de moi, qu’elle a une intériorité, qu’elle n’est pas une chose, qu’elle n’est pas comprise d’avance. L’homme, d’après Levinas, n’est donc pas l’individuation du genre Homme, il est un sujet qui parle. Et, même lorsqu’il parle il ne s’offre pas, il se manifeste en restant extérieur à sa manifestation, il continue à faire face, il ne se totalise pas. Le discours maintient la distance entre moi et autrui, la séparation radicale qui empêche la reconstitution de la totalité.39 C’est pour cela que Levinas écrit que « le non-synthétisable par excellence, (c’est-à-dire ce qui rompt la totalité, ce qui ne se totalise pas), c’est la relation entre hommes ».40 Ce qui veut dire tout simplement que « le social est au-delà de l’ontologie ».41 La société humaine n’est pas une multiplicité numérique. Une société n’est véritablement humaine que lorsqu’elle respecte les différences entre les hommes, lorsqu’elle respecte l’intériorité de tout un chacun. En d’autres paroles, une société humaine est une société dans laquelle on peut parler.

La violence commence donc lorsqu’on nie les différences, lorsqu’on totalitarise — totalitarisme —, lorsqu’on nie à chaque personne le droit de choisir le travail qu’il veut faire et de manger ce qu’il aime. Mais la violence la plus radicale, c’est la négation du droit qu’à l’autre homme de parler. Et Levinas précise qu’il s’agit du langage oral et non pas de l’œuvre ou de la parole écrite. Car, l’œuvre, contrairement à la parole, correspond à un phénomène, il est « le moment où l’être séparé se découvre sans s’exprimer où il apparaît, mais s’absente de son apparition ».42 À travers les œuvres, l’homme se présente sans porter secours à lui-même, il peut être com-pris, ou plutôt, le com-prendre uniquement à partir de ses œuvres, c’est le reduire à un phénomène : « on a dans l’œuvre, déviné l’intention de quelqu’un, mais on l’a jugé par contumace. L’être n’a pas porté secours à lui-même, l’interlocuteur n’a pas assisté à sa propre révélation. On a pénétré dans son intérieur, mais à son absence. On l’a compris comme un homme préhistorique qui a laissé des haches et des dessins, mais pas de paroles. Tout se passe, comme si la parole, cette parole qui ment et dissimule, était absolument indispensable au procès, pour éclairer les pièces d’un dossier et les pièce à conviction, comme si la parole seule pouvait assister les juges et rendre présent l’accuser, comme si par la parole seulement, les multiples possibilités concurrentes du symbole pouvaient être départagées et données naissance à la vérité ».43

Le langage est ce qui rompt la totalité, en d’autres termes l’ennemi numéro un des régimes totalitaristes, c’est la parole. Pourquoi ? Parce que la parole est l’affirmation des différences que le régime totalitariste cherche à étouffer. Dans la société des communications, il y a une manière plus substile d’empêcher aux hommes de parler. Pour empêcher aux hommes de parler on les empêches d’être différent, on utilise la propagande qui fait des hommes non plus des personnes, mais des automates d’une raison formalisée. Ils pensent qu’ils parlent mais en réalité ils pensent comme le régime voudrait. Mais c’est parce que l’ennémi numéro un de tout régime totalitariste est la parole que toutes les formes de totalitarismes sont vouées à l’echec. Car, « les lois de la nature disent que le plus fort l’emporte sur le plus faible, mais elles posent aussi que les êtres persévèrent dans leur être. Ce qui signifie que quand le peuple se sent en danger vital du fait de l’État, celui-ci devient pour lui l’ennemi à abattre pour préserver son propre être ».44

5. La subjectivité en question

Une fois que nous avons réussi à arracher le sujet à l’être, une fois qu’en insistant sur le langage, nous avons montré que l’homme n’est pas jamais un nombre mais toujours un sujet doté d’une intériorité, il nous faut maintenant dire en quoi consiste cette intériorité, en quoi consiste la subjectivité humaine, en quoi consiste l’humain.

Nous n’allons pas passer en revue les différentes formes d’humanisme que nous propose l’histoire de la philosophie. Le thème central de notre propos c’est la défense de la subjectivité. Et, s’il faut défendre la subjectivité, c’est parce qu’elle constitue selon Levinas, le seul et véritable rempart contre la barbarie. Et, elle constitue le dernier rempart contre la barbarie parce qu’elle est « la responsabilité infinie de chacun, pour chacun, devant chacun », elle est la conscience morale, c’est-à-dire la mise en question du Moi.

On retrouve cette expression dans toute l’œuvre majeure de Levinas.45 Et le Moi dont il est question ici c’est l’âme rationnelle d’Aristote et la conscience intentionnelle de Husserl. Dans le monde un et harmonieux d’Aristote, chaque chose avait une matière et une forme par laquelle elle est com-préhensible et l’homme y occupait une place privilégiée parce que son âme — l’âme rationnelle et non toute l’ame — était le siège des formes idéales, elle avait donc la possibilité, selon l’expression d’Aristote, de « devenir toute chose », de tout com-prendre. Le bien de l’homme, sa vertu propre n’était pas la vertu éthique, mais surtout la vertu dianoéthique, le savoir pour le savoir, le savoir qui permet d’être chez soi dans le monde, de devenir un petit dieu. La même chose se produit avec la conscience intentionnelle de Husserl. Car, la réduction phénoménologique laisse le sujet dans un monde qui est sien, dans lequel il n’y a pas de véritable transcendance, dans un monde où le moi ne rencontre jamais rien de totalement étranger, car tout lui est donné, tout est d’avance compris.46 C’est pour cela que dans l’ontologie comme dans la phénoménologie il n’y a pas une relation entre Moi et l’Autre, mais une réduction de l’Autre au Même, une compréhension de l’autre à partir d’une idée que je trouve en Moi ou alors une vision de l’autre à partir de l’horizon. « La philosophie occidentale, écrit Levinas, a été le plus souvent une ontologie : une réduction de l’autre au même, par l’entremise d’un terme moyen et neutre qui assure l’intelligence de l’être […], la médiation phénoménologique emprunte une nouvelle voie où l’impérialisme ontologique est encore plus visible […], […] la phénoménologie toute entière, depuis Husserl, est la promotion de l’idée d’horizon qui, pour elle, joue un rôle équivalent à celui du concept dans l’idéalisme classique ».47

Le problème fondamentale de l’ontologie, comme de la phénoménologie, d’après la cinquième Méditation cartésienne de Husserl, est cette incapacité de justifier l’altérité de l’autre homme.48 Un sujet qui considère le monde comme donné est incapable de cohabiter avec l’autre. Mieux, sa cohabitation avec les autres ne peut être que la lutte des égoïsmes, tous contre tous.49

Levinas ne reproche pas à Aristote d’avoir placé l’humain dans la raison, mais d’avoir fait coïncider la raison avec le savoir, la compréhension, la possession ou l’assimilation de l’autre.50 La raison, selon Levinas, n’est pas la manifestation d’une liberté neutralisant l’autre et l’englobant.51 Au contraire, elle commence avec la possibilité de concevoir une liberté extérieure à la mienne,52 elle commence avec la mise en question de la liberté sauvage de celui qui se considère seul au monde et qui considère que le monde lui est donné et à prendre.

La défense de la subjectivité n’est donc pas la défense d’un égoïsme ou d’un individualisme. Elle est la mise en question du Moi. Cette mise en question du moi n’est pas une conscience de la mise en question, elle n’est pas une opération de la pensée, mais elle se réalise positivement devant le visage de l’autre. Pourquoi le visage met-il l’égoïsme du moi en question ? Parce que le visage parle. « Voir un visage, c’est déjà entendre : tu ne tueras point ». Et Levinas précise que « tu ne tueras point n’est pas une simple règle de conduite. Il apparaît comme le principe du discours lui-même et de la vie spirituelle ».53 C’est donc la parole de l’Autre dont le visage est la trace qui ouvre à l’humain ou à la moralité. En fait, d’après l’analyse profonde de Marie-Anne Lescourret, Levinas « semble sous-entendre que l’homme, l’humanité ne se comprend pas seulement à partir de l’homme, mais requiert un autre que l’homme, un transcendant à l’homme ».54 « Il importe à l’homme de savoir que Dieu créa la terre. Car, sans ce savoir, il ne possédera que par usurpation ».55 En d’autres termes, précise Jacques Derrida, « Dieu seul empêche le monde de Levinas d’être celui de la pire et pure violence, le monde de l’immoralité elle-même ».56

L’humain ou la grandeur de l’homme, au-delà de sa fragilité, réside comme nous l’a enseigné Pascal, dans la conscience d’être un mortel, dans sa conscience d’être un étranger sur la terre. Cette conscience ne s’ouvre que devant le visage de l’autre. C’est l’autre qui m’apporte ce message libérateur. Car, le visage signifie, « avant toute mimique, dans sa droiture de visage, une exposition sans défense à l’esseulement mystérieux de la mort ».57 C’est la mort qui me regarde dans le visage de l’autre homme avant d’être la mort qui me dévisage à mon tour qui met mon égoïsme en question et me rappelle que je suis un étranger sur la terre. Or, « la mortalité rend incensé tout souci que le Moi voudrait prendre de son existence et de sa destinée. Ce ne serait qu’une évasion dans un monde sans issue et toujours ridicule. Rien, sans doute, n’est plus comique que le souci qu’un être prend d’une existence qu’il ne pourrait arracher à sa destruction, comme dans le roman de Tolstoï où une commande de bottes est passée par celui qui mourra le soir même de sa commande […], l’approche, dans la mesure où elle est sacrifice, confère un sens à la mort. En elle la singularité absolue du responsable englobe la généralité ou la généralisation de la mort. En elle la vie ne se mesure plus par l’être et la mort ne peut plus y introduire l’absurde […], personne n’est assez hypocrite pour prétendre qu’il a enlevé à la mort son dard — pas mêmes les prometteurs des religions — mais nous pouvons avoir des responsabilités et des attachements par lesquels la mort prend un sens ».58

Ainsi, en insistant sur le thème du visage, Levinas veut tirer notre attention sur la nécessité de méditer sur la mort. Il ne s’agit pas de dire tout simplement que l’homme est un être pour la mort. Mais de faire de la mort le fondement de la moralité, de l’humanité même de l’homme et de sa responsabilité pour l’autre homme. Car, la conscience d’être un « étranger sur la terre » nous oblige, selon l’expression de Cathérine Chalier, « d’apprendre à vivre sur la terre conformément à des préceptes qui ne sont pas issus de la terre », elle nous enseigne « comment séjourner sur la terre sans s’en croire propriétaire et comment la faire fructifier sans l’adorer et sans porter atteinte à celui qui y vit avec nous ».59 Il ne s’agit pas ici de dire que la mort est un bien pour l’homme. Levinas lui-même nous a rappélé plus haut que « personne n’est assez hypocrite pour prétendre qu’il a enlevé à la mort son dard ». Ce qu’il convient de faire c’est d’admettre la réalité de la mort et d’en tirer le sens positif pour l’homme. Au-delà des plus pertinentes découvertes archéologues qui confirment que l’animal est l’ancêtre de l’homme, au-delà des affinités biologiques qui existent entre l’homme et l’animal, sur le plan philosophique, il me semble que l’homme n’est véritablement voisin de l’animal que lorsqu’il vit comme si la mort n’existait pas.

Ainsi donc, la réflexion sur le visage est une méditation sur la mort. Et c’est cette méditation sur la mort qui ouvre à l’humanité, redonne sens à la vie et instaure la liberté. Reprenant les paroles de Jean Ziegler, dans Les vivants et la mort, nous pouvons conclure en disant que : « privé de sa finitude, l’homme cesse du même coup d’être le sujet d’une histoire quelconque ». Paradoxalement, nous devons donc admettre que c’est le sens de la finitude, qui est seul capable de redonner à la vie humaine, un regain d’humanité. Lorsque la réalité de la mort est évacuée ou substituée par l’hédonisme marchand, lorsque l’homme est privé de la conscience de sa finitude, il devient comme un avion sans pilote qui court aveuglement dans l’espace. Sa raison devient irrationnelle et bête.

Nous avons dit au debut de notre propos que la pensée de Levinas est inséparable de l’expérience de la persécution nazie. Mais ce qui est encore plus intéressant c’est que cette expérience n’a pas suscité une pensée de la vengéance, mais plutôt une réflexion sur la finitude de l’homme qui ouvre à un nouvel humanisme. La réflexion sur la guerre ou sur la mort, la conscience d’être un mortel « ne retourne pas en angoisse pour ma mort »,60 elle se réalise positivement comme un éveil à la proximité, un éveil à la responsabilité pour l’autre homme, un retour à l’humain.

6. Conclusion

Dans un article intitulé « Homo philosophicus »,61 Marie-Anne Lescourret définit la phénoménologie comme « la fin de l’illusion scolastique », puisque le philosophe est désormais considéré non plus comme un homme au-delà des vicissitudes, mais comme un fruit de son temps et de son vécu. Cette définition s’applique très bien à Emmanuel Levinas, non seulement parce qu’il est phénoménologue et même l’un des pères fondateurs de la phénoménologie,62 mais surtout parce que sa pensée est incompréhensible si on la sépare de son expérience personnelle qu’il définit lui-même dans Difficile liberté comme « dominée par le pressentiment et le souvenir de l’horreur nazie ».63

En fait Levinas est juif, non seulement par son éducation,64 mais surtout parce que comme ses pairs, il a payé dans sa peau le prix que Hitler avait imposé à tous les juifs pendant la deuxième guerre mondiale. Il a vécu l’antisémitisme. Il a été prisonnier de guerre entre 1940 et 1945. Il a vécu cinq ans d’humiliation. Il a été réduit à un nombre. Il a souffert la faim, la privation de la liberté, la soumission au despotisme, la monotonie des jours et des nuits, l’attente de la libération qui, malheureusement pour lui, coïncidera plus tard avec la découverte de la plus grande horreur de sa vie : toute sa famille en Lituanie avait été assassinée. Son père, sa mère et ses deux frères. C’est cette douleur inédite et sans consolation qui lui inspire un retour à l’humain.

Dans Levinas. L’utopie de l’humain, Cathérine Chalier écrit : « Les morts sans sépultures dans les guerres et les camps d’extermination accréditent l’idée d’une mort sans lendemain et rendent tragi-comique le souci de soi et illusoire la prétention de l’animal rationnel à une place de privilégiée dans le cosmos ».65 En d’autres termes, le mal que de par le monde, l’homme fait à l’autre homme, n’atteint pas seulement les individus et les peuples qui le subissent en première personne. Indirectement, il atteint tout homme et toute l’humainté sans distinction de race, de couleur ou de continent. Car, c’est l’homme en général qui est réduit à l’animal, exproprié de ce qu’il a de plus grand et de plus noble, sa dignité. Aussi, si ce mal, cette violence de l’homme sur l’autre homme, lamine à ses fondement la dignité de l’homme, alors il sollicite une réaction de toute l’humainité. Et cette réaction, d’après Levinas, ne peut pas seulement être politique, une création d’institutions comme la Société des nations […] ou l’Organisation des Nations unies […]. Ces institutions, aussi importantes soient-elles ne suffisent pas. Ce qu’il faut, d’après Levinas, c’est un retour à l’humain : « le souvenir de l’effondrement de tant d’institutions pourtant destinées à protéger les hommes ne doit pas conduire à mépriser l’effort de leur reconstruction ou de leur élaboration, mais il doit enseigner qu’aucune institution, fût-elle juste, ne supplée à la vie de l’intériorité […] constitue le seul rempart contre la barbarie ».66

Pour mieux cerner la problématique, disons que Levinas ne dit pas, comme Raymond Aron par exemple, que c’est la démocratie qui, plus que tout autre régime, lorsqu’elle fonction bien, assure aux individus plus de garanties contre les excès de pouvoir.67 Il pense plutôt que pour lutter contre les eccès de pouvoir qui existent toujours et qui tendent souvent, grâce à la propagande, à englober les hommes dans leurs système pour en faire tout simplement des automates, il faut défendre la subjectivité humaine, la conscience morale. C’est cette conscience morale, cette responsabilité infinie de chacun pour l’autre homme, qu’il oppose au pouvoir. « Il y a, si vous voulez, des larmes qu’un bon fonctionnaire ne peut pas voir : les larmes d’Autrui. Pour que les choses marchent, pour qu’elles se fassent équilibre, il faut absolument affirmer la responsabilité infinie de chacun, pour chacun, devant chacun. Il faut, dans une telle situation, des consciences individuelles, seules capables de voir ces violences qui découlent du bon fonctionnement de la Raison elle-même. Il faut défendre la subjectivité, remédier à un certain désordre qui découle de l’Ordre de la Raison universelle. Dans ma façon de voir, la protestation de la subjectivité n’est pas accueillie favorablement sous le prétexte que son égoïsme serait sacré, mais parce que le Moi seul peut apercevoir les “larmes secrètes” de l’Autre que fait couler le fonctionnement, même rationnel de la hiérarchie. La subjectivité est, en conséquence, indispensable pour assurer cette non-violence même de l’État ».68

7. Bibliographie

  • Levinas, E., Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Martinus Nijhoff, La Haye 1974.
  • —-, Altérité et transcendance, préface de Pierre Hayat, Fata Morgana, 1995.
  • —-, De Dieu qui vient à l’idée, Vrin, Paris 1998.
  • —-, De l’existence à l’existant, Vrin, Paris 2004.
  • —-, De l’évasion, introduit et annoté par Jacques Rolland, Fata Morgana, Paris 1982.
  • —-, Difficile liberté : essais sur le judaïsme, Albin Michel, Paris 1963.
  • —-, Entre nous : essais sur le penser-à-l’autre, Grasset & Fasquelle, Paris 1991.
  • —-, Éthique et infini : dialogues avec Philippe Nemo, Fayard/France culture, Paris 1982.
  • —-, Le temps et l’autre, Presses Universitaires de France, Paris 1991.
  • —-, Les imprévus de l’histoire, Fata Morgana, 1994.
  • —-, Totalité et infini : essai sur l’extériorité, Nijhoff, La Haye 1961.
  • Chalier, C., Levinas : l’utopie de l’humain, Albin Michel, Paris 1993.
  • Chalier, C., — Abensour, M., ed., Emmanuel Levinas, L’Herne, Paris 1991.
  • Derrida, J., De l’esprit : Heidegger et la question, Éditions Galilée, Paris 1987.
  • —-, « Violence et métaphysique », in L’écriture et la différence, Éditions du Seuil, Paris 1967.
  • Hansel, J., ed., Levinas. De l’Être à l’Autre, Presses Universitaires de France, Paris 2006.
  • Heidegger, M., Être et temps, traduit de l’allemand par François Vezin, Gallimard, Paris 1986.
  • Lescourret, Marie-Anne, « Un air de visage », in Emmanuel Levinas. Prophetic Inspiration and Philosophy. Atti del Convegno internazionale per il Centenario della nascita, Roma, 24-27 maggio 2006, 35-46.
  • Rolland, J., « Un chemin de pensée : Totalité et Infini — Autrement qu’être », in Emmanuel Levinas, Rue Descartes, PUF, Paris 1998, 39-54.
  • Verneaux, R., Histoire de la philosophie contemporaine, Beauchesne, Paris 1960.
  • Vattimo, G., Introduzione a Heidegger, Laterza, Roma-Bari, 2001.

  1. E. Levinas, Éthique et infini, 73. ↩︎

  2. Dans Difficile liberté, Levinas déclare que son existence personnelle a été « dominée par le pressentiment et le souvenir de l’horreur nazie », 406. ↩︎

  3. E. Levinas, Totalité et infini, 13-14. ↩︎

  4. Id., De l’existence à l’existant, 19. ↩︎

  5. « Ce n’est pas moi qui me refuse au système comme pensait Kierkegaard, c’est l’Autre », Levinas, Totalité et infini, 10. ↩︎

  6. J. Rolland, « Sortir de l’être par une nouvelle voie », introduction à De l’évasion, 17. ↩︎

  7. « … Philosopher sans avoir connu Heidegger comporterait une part de « naïvete » au sens Husserlien du terme : il y a pour Husserl des savoirs tres respectacles et certains, les savoirs scientifiques, mais qui sont naïfs, dans la mesure ou, absorbes par l’objet, ils ignorent le problème du statut de son objectivité », Éthique et infini, 33. ↩︎

  8. Ibid., 28. ↩︎

  9. J. Derrida, De l’esprit. Heidegger et la question, 63-64. ↩︎

  10. Celles qui étudient les étants. ↩︎

  11. Roger Verneaux, Histoire de la philosophie contemporaine, 164. ↩︎

  12. Les suprêmes divisions de l’être. ↩︎

  13. Si l’être se déduit de l’analyse de l’être de l’homme, de l’analyse du sens de l’existence humaine, et que l’existence humaine est pure possibilité, possibilité de ne plus être, alors l’être n’est plus le substrat permanent du devenir, l’intemporel, l’éternellement présent ou l’acte ; mais il est le riendu « pourquoi l’être plutôt que le rien ». ↩︎

  14. Cette précompréhension ne doit pas être comprise comme un préjudice qui conduirait à un subjectivisme car le subjectivisme suppose une relation sujet-objet qui n’existe pas chez Heidegger, puisque le Dasein est toujours déjà jeté dans un monde. ↩︎

  15. Dans l’exercice de sa tâche d’être, dans son existence, dans son aller vers la mort, il ne rencontre jamais des choses en soi, des objets auxquels il doit par la suite donné un sens, mais des choses qui ont déjà un sens pour lui qui est leur utilité pour son projet, ce sont des instruments. Les choses ne sont pas de simples objets mais des signes, des instruments qu’il intègre dans son projet comme du carburant dans une voiture, comme des simples moyens de vie. C’est cette intimité entre la signification et l’instrumentalité — le monde est monde c’est-à-dire une précompréhension parce qu’il est une totalité d’instruments — qui constitue ce qu’on appelle le cercle herméneutique. Et l’impossibilité de sortir de ce cercle est ce qui caractérise l’homme et c’est pour cela qu’il est un dasein, un être-là, un être jeté et abandonné dans ses possibilités, un être rivé. C’est pour cela que Heidegger ne pourra plus s’entendre avec Husserl lorsque ce dernier, après avoir tant insisté sur le retour aux choses elles-mêmes, c’est-à-dire aux choses telles qu’elles sont dans notre conscience, le retour au vécu de la conscience ou au monde de la vie qui signifie, contre le naturalisme, qu’il n’existe pas une objectivité indépendante du sujet, commencera à parler de la réduction transcendantale, de l’idéalisme. Heidegger s’oppose à l’idéalisme parce qu’il considère son dasein pas comme un sujet capable de recul face au monde, mais comme un être rivé, jeté dans le monde, toujours déjà auprès des choses, une désubjectivisation d’après Levinas. ↩︎

  16. « On est en même temps rivé à soi-même, enserré dans un cercle étroit qui étouffe. On est là, et il n’y a plus rien à faire, ni rien à ajouter à ce fait que nous avons été livré entièrement, que tout est consommé : c’est l’expérience même de l’être pur », Levinas, De l’évasion, 116. ↩︎

  17. Levinas, « Quelques réflexions sur la philosophie de l’hitlérisme », in Les imprevus de l’histoire, 38. ↩︎

  18. La fin de la liberté individuelle, la fin de la subjectivité. ↩︎

  19. J. Derrida, De l’esprit. Heidegger et la question, 105 ↩︎

  20. Ibid., 57 ↩︎

  21. Ibid., 63-64 ↩︎

  22. Levinas, Difficile liberté, 26. ↩︎

  23. L’ontologie fondamentale donne ainsi une valeur absolue à l’existence qui devient l’essence même de l’homme, sa vérité. En d’autres termes, l’homme nait et meurt. Il n’y a rien avant cela, et il n’y a rien après. C’est cette négation de toute transcendance qui donne libre cour au totalitarisme, à la dictature de l’État suprême, et à la barbarie. ↩︎

  24. Levinas, Aautrement qu’être ou au-delà de l’essence, 210. ↩︎

  25. Id., Totalité et infini, 91. ↩︎

  26. Ibid., 107. ↩︎

  27. Ibid., 88. ↩︎

  28. Ibid., 82-83. ↩︎

  29. Id., Le temps et l’autre, 45. ↩︎

  30. Id., De l’existence à l’existant, 68. ↩︎

  31. Ibid., 67. ↩︎

  32. Id., Le temps et l’autre, 43. ↩︎

  33. Ibid., 46. ↩︎

  34. Id., De l’existence à l’existant, 67-68. ↩︎

  35. Id., Le temps et l’autre, 45. ↩︎

  36. Id., Totalité et infini, 168. ↩︎

  37. Ibid., 32. ↩︎

  38. Id., Entre nous. Essais sur le penser à l’autre, 18. ↩︎

  39. Id., Totalité et infini, 10. ↩︎

  40. Id., Éthique et infini, 71. ↩︎

  41. Ibid., 50. ↩︎

  42. Ibid., 197. ↩︎

  43. Ibid., 198. ↩︎

  44. Cf. Nsame Mbongo, « Hommage académique au Professeur Belle Wangue », Université de Douala, Juillet 2008. ↩︎

  45. Il n’y a pas une seule œuvre parmi celles que Levinas a publié à partir de 1961 où l’on ne retrouve plusieur fois cette expression. ↩︎

  46. « L’intentionnalité — et cela doit être bien compris — n’est pas un lien entre deux états psychologiques dont l’un serait l’acte et l’autre l’objet, ni un lien entre la conscience d’une part et l’objet réel de l’autre. La grande originalité de M. Husserl consiste à voir que « le rapport à l’objet » n’est pas quelque chose qui s’intercale entre la conscience et l’objet, mais que « le rapport à l’objet » c’est la conscience elle-même. C’est le rapport à l’objet qui est le phénomène primitif et non pas un sujet et un objet qui devraient arriver l’un vers l’autre », Levinas, Les imprevus de l’histoire, 62. ↩︎

  47. Levinas, Totalité et infini, 13-15. ↩︎

  48. Il ne peut comprendre l’autre que comme un alter ego, un autre moi, il n’a pas le droit d’être différent, il doit être comme moi. Il doit sortir de la barbarie et devenir comme moi, entrer dans la véritable culture de l’humanité. ↩︎

  49. Levinas, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, 15. ↩︎

  50. Dans Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, Levinas écrit : « Pour la tradition philosophique de l’Occident, toute spiritualité tient dans la conscience, dans l’exposition de l’être, dans le savoir », p. 157. Et dans De Dieu qui vient à l’idée, nous lisons : « Il est certain que c’est dans ce sens qu’elle porte la spiritualité de l’Occident où l’esprit demeurait coextensif au savoir », p. 97. Or, le savoir ou la com-préhension, d’après Levinas, ne répondqu’ à l’instinct du vivant, au besoin de vivre que nous avons en commun avec tous les vivants. ↩︎

  51. Totalité et infini, 14. ↩︎

  52. Levinas, « Le Moi et la Totalité », In Entre nous, 29. ↩︎

  53. Ibid., 22. ↩︎

  54. Marie-Anne Lescourret, « Un air de visage », in Emmanuel Levinas. Prophetic Inspiration and Philosophy. Atti del Convegno internazionale per il Centenario de la nascita, Roma, 24-27 maggio 2006, 43. ↩︎

  55. Levinas, Difficile liberté, 33. ↩︎

  56. Jacques Derrida, « Violence et métaphysique », in L’écriture et la différence, 158. ↩︎

  57. Levinas, « De l’Un à l’Autre. Transcendance et temps », in Cathérine Chalier ed., Emmanuel Levinas, L’Herne, 92. ↩︎

  58. Autrement qu’être, 204. ↩︎

  59. Levinas. L’utopie de l’humain, 18. ↩︎

  60. Levinas, Altérité et transcendance, 46. ↩︎

  61. Marie-Anne Lescourret, « Homo philosophicus », in Joële Hansel, ed., Levinas : de l’Un à l’Autre, Puf, Paris 2006. ↩︎

  62. C’est lui qui a introduit la phénoménologie en France. ↩︎

  63. Levinas, Difficile liberté, 406. ↩︎

  64. Levinas et ses frères, Boris et Aminadab, eurent dès le jeune âge un précepteur hébreux à la maison. La famille était traditionaliste et praticante. ↩︎

  65. Levinas. L’utopie de l’humain, 47. ↩︎

  66. Ibid., 21. ↩︎

  67. Raymond Aron, Introduction à la philosophie politique, 53. ↩︎

  68. Levinas, « Transcendance et hauteur », in Cathérine Chalier et Miguel Abensour, Emmanuel Levinas, L’Herne, 106. Contre la propagande des États qui exaltent la nation et dressent leurs citoyens contre ceux qui n’appartiennent pas à cette nation, Levinas fait appel à l’intériorité de la conscience individuelle de tout un chacun, à l’humain, à la conscience morale individuelle qui ne doit pas se laisser absorber par la machine, la hiérarchie ou l’Ordre rationnel de l’État. Ces consciences individuelles doivent fonctionner comme des anti-corps capable de réagir contre tout terrorisme d’État. ↩︎