Sur la mélodie et la note fausse. Effort et fatigue chez Levinas et Bergson

À plusieurs occasions, entretiens ou passages de ses œuvres, Levinas a notamment reconnu sa grande admiration envers Henri Bergson1. Dans la bien connue conversation avec Philippe Nemo il a élevé le bergsonien Essai sur les donnés immédiates de la conscience au rang des cinq plus grands livres de l’histoire de la philosophie, avec Sein und Zeit de Heidegger, le Phèdre de Platon, la Critique de la raison pure de Kant et la Phénoménologie de l’esprit de Hegel2. Dans le surprenant Hommage à Bergson, texte du 1946 retrouvé et publié dans les derniers recueils d’inédits3, Bergson est salué en tant que « l’un des plus grands génies philosophiques de tous les temps »4, toutefois «  scandaleusement méconnu maintenant – dit Levinas – dans une ingratitude universelle », comme oublie dans une sorte de « purgatoire » dont « il attend de sortir »5.

À partir de affirmations comme ces derniers, dans un étude critique sur Levinas, (Un passo fuori dall’uomo. La genesi del pensiero nel pensiero di Levinas, Cedam, Padova 1988) Francesco Paolo Ciglia, relançait une intéressante hypothèse de travail, selon laquelle dans la « préhistoire » philosophique levinassienne, il pourrait y avoir eu, pour Levinas, un moment d’hésitation dans la choix des ses auteurs de référence, en se trouvant comme devant un carrefour représenté du bergsonisme, d’un coté, et de la ligne de pensée qui va de Husserl à Heidegger, de l’autre coté. Même si la vérification de cette hypothèse herméneutique demanderait de traverser toute la réflexion spéculative des deux philosophes – et cela n’est pas le but de cet texte évidement - l’analyse des thèmes de l’effort et de la fatigue s’offre en tant que lieu privilégié pour mettre au point la question. Dans De l’existence à l’existant Levinas nous consigne une ponctuelle analyse de l’effort et de la fatigue en tant que Stimmungen d’une primordiale forme de subjectivité : il s’agit de définir l’acte d’inscription dans l’être, à savoir le surgit vrai et propre de la subjectivité dans son rapport double et ambigu avec l’existence. Si la fatigue d’exister se configure en tant qu’attraction envers l’anonymat de l’être et résistance à assumer sur soi la dimension du futur et du projet, le geste de l’effort implique bien aussi un écart, un intervalle, une prise de distance par rapport à l’être, c’est à dir l’événement du sujet. Les lignes décrivaient ces deux mouvements, les deux impliqués dans la naissance de la subjectivité, renvoient à plusieurs passages bergsoniens, à ses descriptions des notions de durée e d’élan vital, à sa particulier idée de liberté et nouveauté impliquées en eux.

On prendra en considération donc premièrement les analyses levinassiennes de la fatigue et de l’effort (en particulier les passages de De l’existence à l’existant, Le Temps et l’autre et le Carnet de captivité), pour focaliser en suite l’attention sur les écrits bergsoniens évoqués par Levinas lui-même à propos des thèmes en question6. On analysera enfin la page levinassienne sur la « mélodie » et de la « note fausse », métaphore – entre Levinas et Bergson – du rapport de l’existant à l’endroit de l’exister, métaphore des complexes dynamiques qui sont en jeu dans le vivre subjectif. En tout cas alors, comme le dit Jean-Louis Vieillard - Baron, pour Levinas « il n’est pas ordinaire de privilégier Bergson parmi tous les philosophes […] Et il n’est pas ordinaire non plus privilégier l’Essai parmi les quatre grands ouvrages de Bergson »7. On cherchera de montrer comment, bien sans prétendre d’épuiser la question du rapport entre des deux, le fil rouge qui lie les deux penseurs s’épaissit exactement sur la commune exigence spéculative de ‘dir l’experience subjective’ en terme de ‘événement’ et ‘liberté’, dans son valeur singulier et imprevisible.

1. Levinas, entre la fatigue et l’effort d’exister

Dans De l’existence à l’existant, Le Temps et l’autre et dans plusieurs passages du Carnet de captivité, Levinas se pose le problème de thématiser l’existence dans son épaisseur concret, non pas seulement heideggerianament en tant qu’idée concrète d’existence, mais surtout en se concentrant sur le versant de l’existant, sur la constitution de l’experience subjective. L’experience subjective, dans ces premiers écrits levinassiens, se joue en terme de « dualité » entre l’existence et l’existant, entre une forme d’adhérence à l’être et l’exigence d’évasion par rapport à ce dernier lui-même. D’un coté, l’analyse levinassienne de l’existence, dans la notion de l’il y a, dessine la dimension fatale et irrémissible de l’être, décrite en terme d’une « plénitude du vide ou comme le murmure du silence », là où en imaginant le retour au néant des toutes les choses, dans l’absence de toutes les choses, ce qui reste comme une extraordinaire présence est le « champ de forces » de l’exister, impersonnel et anonyme8 : « c’est anonyme. Il n’y a personne ni rien qui prenne cette existence sur lui. C’est impersonnel comme ‘il pleut’, ou ‘il fait chaud’ »9, comme une courante neutre et spersonnalisant, qui « envahit et submerge tout sujet »10.

L’expérience de l’être pure, qui selon Levinas on peut percevoir par les phénomènes de la fatigue, (et bien de l’insomnie et de la lassitude) apparaît comme quelque chose qui incombe d’une façon menaçante, « nuit sans sujet »11 et indéterminée où n’importe quelle chose vaut pour une autre, sans domaine privé comme le fluer anonyme du temps continu et ininterrompu, qui ne connait pas altérations ou différenciations. Il y a donc d’un coté cette irrémissible attraction exercée par l’être, comme un champ des forces polarisantes empêchant la détermination d’un domaine privé. De l’autre coté, l’experience subjective enregistre aussi l’implacable exigence d’échapper de cette nuit indifférenciée et de surgir comme polarité distinguée et déterminée. La notion d’« hypostase », et en suite d’ « instant », représente alors pour Levinas l’événement de la subjectivité, « la subjectivation du sujet »12 , ou autrement dit, le terme lui-même avec lequel le philosophe lituen peut « substituer la notion de subjectivité » 13 : l’hypostase est l’événement de la subjectivité qui «se fige », qui se caille de la «densité du rien» de l’être pur, à la même façon dont le présent, dans l’instant, est la déchirure, la rupture qui s’insinue dans le flux continu et homogène de la temporalité; c’est l’acte de la position, la déchirure dans la courante continue et anonyme de l’être, le hic et nunc qui, à travers la « localisation de la conscience » dans « l’épaisseur matérielle »14 d’un corps et la ponctualité de l’instant de l’acte lui-même, configure la naissance de la subjectivité en tant que possibilité d’être soi, possibilité de se détacher de la neutralité fatale de l’être pur pour « se ramasser dans l’ici »15 : c’est exactement « l’irruption dans l’être anonyme du fait même de la localisation »16. Dans un des fragments publiés dans le recueil d’inédits, Levinas écrit :

Dans la position, en s’affirmant, le sujet est possédé par soi même tandis qu’il se possède. (La souffrance) Dans la mesure où il n’est pas tout l’être, où il n’est le seul événement d’être, sa possession est limitée. Limitée en tant que possédante et en tant que possédée. […] Le sujet et la position – La reprise par le sujet du poids qui dépose – la double structure du sujet qui est au même temps ce qui prend et ce qui est pris – visible dans la fatigue de la position - … dans cette fatigue apparait la dualité du sujet17.

Pour mieux approcher cette dualité implicite dans l’experience subjective, et en particulier l’adhérence entre l’existant et l’existence et la prise de position envers elle-même, Levinas nous offre l’analyse d’une « forme concrète »18 de cette dernière, à savoir la fatigue. Similairement de la paresse, la fatigue constitue une « position à l’égard de l’existence »19, qui en tant que contenu de conscience, « ne révèle pas ce qu’elle accomplit, ou en l’espèce, ce dont elle est la fin de non-recevoir impuissante. [Sa] réalité est faite de ce refus »20. Il s’agit d’un « événement de refus » qu’elle est dans sa production même, c’est « le recul devant l’existence qui fait [son] existence »21. On peut lire dans le paragraphe ‘La fatigue et l’instant’ de De l’existence à l’existant :

La fatigue, même et surtout la fatigue qu’on appelle à la légère physique, se présente d’abord comme un raidissement, un engourdissement, une manière de se recroqueviller. Epuisement ou empoisonnement musculaire pour le psychologue et le physiologiste, elle s’impose à l’attention du philosophe à un tout autre titre. Le philosophe se doit de se placer dans l’instant de la fatigue et d’en découvrir l’événement. […] L’engourdissement de la fatigue est bien caractéristique. Il est une impossibilité de suivre, décalage constant et croissant de l’être par rapport à ce quoi il reste attaché, comme une main qui lâche peu à peu ce à quoi elle tient encore. Mieux qu’une cause de ce relâchement, la fatigue est ce relâchement même. Elle est cela, dans la mesure où elle ne se loge pas simplement dans une main qui lâche le poids qu’elle soulève avec fatigue, mais dans une main qui tient à ce qu’elle lâche ; même lorsque elle l’a abandonné et qu’il lui en reste une crispation. Il n’y a, en effet, de fatigue que dans l’effort et le travail22.

Donc la ‘Stimmung’ levinassienne de la fatigue représente la description en quelque sorte phénoménologique du « décalage de l’être par rapport à soi-même », par rapport « à ce quoi il reste attaché », qui pour Levinas constitue l’« avènement de la conscience »23, la possibilité de « suspendre » l’être. La description de l’effort nous donne mesure de l’autre versant de l’experience subjective dont on a parlé au début :

Le travail et l’effort humains supposent par contre, un engagement dans lequel ils sont déjà installés. […] Malgré toute sa liberté, l’effort révèle une condamnation. Il est fatigue et peine. […] c’est [de la fatigue] en quelque manière que l’effort s’élance et c’est sur elle qu’il retombe. L’effort s’élance de la fatigue et retombe sur elle. Ce qu’on appelle la tension de l’effort est fait de cette dualité d’élan et de fatigue. Le moment créateur de la force s’accomplit certes malgré la fatigue par un risque24.

L’instant de l’effort, donc, dans son double mouvement d’« élan », de « moment créateur » en tant qu’ « événement », et de recul à partir de la fatigue, condamnée à retomber sur elle-même, devient tout à fait représentatif de l’experience subjective oscillante entre la condamnation à l’être et la tentative d’un acte de liberté. Si on pourrait dire que la raison de l’effort est la résistance de la matière25, Levinas affirme :

Ce n’est pas la peine que l’effort comporte qui en fait l’apanage de l’esclavage ; l’effort comporte une peine parce qu’il est dans son instant un événement d’asservissement. L’antique malédiction du travail ne tient pas seulement à la nécessité de travailler pour se nourrir ; elle se retrouve tout entière dans l’instant de l’effort. Ce n’est donc pas dans la relation de l’homme travaillant avec la matière qu’il façonne à son gré, ni avec le maitre qui l’oblige à travailler qu’il faut chercher le sens de l’effort et la marque d’une liberté ou d’une asservissement dont il serait la manifestation ; il convient avant tout de se pencher sur l’instant même où l’effort est accompli et, pouvons-nous dire maintenant, sur l’instant que l’effort accompli et où la fatigue pointe déjà. La peine de l’effort où la fatigue est faite tout entière de cette condamnation au présent26.

L’instant de l’effort dessine, dehors de métaphore, l’événement du sujet, à savoir le surgit – en soin de l’être – d’un existant pour lequel exister signifie « assumer »27 l’existence, prise en charge du présent, et donc « essentiellement acte »28. Dans l’image de l’écoulement anonyme de l’existence, « il y a arrêt et position . L’effort est l’accomplissement même de l’instant »29. Les notions d’effort et de acte, en tant que moments de l’aventure ontologique, soutient Levinas, se manifestent dans leur pleine potentialité dans l’« événement primordiale du présent »30. Or, comme l’hypostase est l’apparition du domaine privé au sein de l’être pur, l’acte est exactement le geste d’assomption de cette existence, qui cesse d’être privation des déterminations et se laisse dominer par ‘quelqu’un’, au fur et à mesure où l’instant constitue la déchirure du flux continu du temps et indique la position du présent en tant que « apparition du substantif »31. À la lumière de cela, on peut comprendre en quel sens d’un coté Levinas conçue l’effort :

L’effort est donc condamnation précisément parce qu’il assume l’instant comme un présent inévitable. Il est une impossibilité de se dégager de cette éternité sur laquelle il s’ouvre. C’est parce qu’il assume pleinement l’instant et que dans l’instant il se heurte au sérieux de l’éternité qu’il est condamnation32.

Voilà le double mouvement : de recul par l’attraction exercée par l’être et son fatal destin à retomber sur soi-même, et de position, d’exercice d’acte libre et déterminé qui brise la fatalité de la condamnation au présent eternel.

La peine de l’effort ne réside pas dans sa souffrance, mais dans son initiative. […] Le thème général de l’existence. Exister = peiner33.

Le lien entre ma théorie de l’effort – accomplissement du présent- et ma théorie de la nuit – le fait anonyme de l’il y a – dans ma théorie du corps. Le corps est le premier acte - l’acte par excellence 34.

Le problème du surgissement du sujet et de son double rapport à l’existence alors est le problème du commencement, ou comme Levinas écrit dans les Carnets de captivité, « le problème de l’étant est (celui) du commencement = liberté »35. En tant que fatigue, comme « retard de l’existant sur l’exister », grâce à ce retard on se constitue le présent, l’effort de l’acte, c’est-à-dire se pose une distance dans l’existence, relation entre l’existence elle-même et un existant, surgissement, dans l’existence, d’un existant36.

2. Bergson, durée et liberté

Dans les analyses levinassiennes du surgit de la subjectivité on a certainement aperçu les résonnances bergsoniennes et l’influence de leur suggestions. Bien qu’on ne peut pas entrevoir chez Bergson explicitement en ce termes les notions d’effort et fatigue, on cherchera de montrer come agissent toutefois dans sa pensée les deux mouvements analysés dans la description levinassienne de l’experience subjective. Levinas lui-même reconnait qu’il y a une proximité entre sa description de l’il y a et plusieurs passages de L’évolution créatrice de Bergson. Plus encore, la notion où on peut envisager le premier versant du vivre subjective qui on a décrit chez Levinas à travers la figure de la fatigue, c’est la notion bergsonienne de durée. À l’époque de Bergson, si, à partir des merveilles et des prodiges de la science, « la civilisation, c’étaient des machines, beaucoup de machines » et l’homme lui-même « un mécanisme entre autres mécanismes »37, le grand mérite de Bergson c’est qu’il a osé s’opposer à l’idée de temps « uniforme et inhumain »38 de la science, pour y opposer les donnés immédiats de la conscience, le devenir même de notre vie, le « rythme libre de la durée concrète »39.

La notion de durée, temps concret de la vie et de la pensée, c’est exactement l’idée la plus originelle et féconde de sa philosophie40. Contre « le temps froid de la science », l’idée bergsonienne de durée indique premiérement le temps vécu, par opposition au temps spatialisé de la représentation scientifique 41. Selon Bergson, écrit Levinas lui-même, le temps originaire est exactement la « durée, devenir où chaque instant est lourd de tout le passé et gros de tout l’avenir. La durée est vécue par une descente en soi. Chaque instant est là, rien n’est définitif puisque chaque instant refait le passé »42. Dans l’Essai des donnés immédiats de la conscience, si le mouvement de l’aiguille d’un horloge nous indique simplement les oscillations du pendule, dit Bergson, « au-dedans de moi, un processus d’organisation ou de pénétration mutuelle des faits de conscience se poursuit, qui constitue la vrai durée »43 : c’est dans la conscience et son apport organisateur des donnés psychiques que se configure la durée ;

Qu’existe-t-il, de la durée, en dehors de nous? Le présent seulement, ou, si l’on aime mieux, la simultanéité. Sans doute les choses extérieures changent, mais leur moments ne se succèdent que pour une conscience qui se les remémore. Nous observons en dehors de nous, à un moment donné, un ensemble de positions simultanées.[…] Mettre la durée dans l’espace, c’est, par une contradiction véritable, placer la succession au sein même de la simultanéité44.

C’est à dir, si le mouvement est une « synthèse mentale »45 pour le quel le sens commun retient que les mouvement physiques adviennent dans l’espace, en effet, dans l’espace dehors de nous on aura toujours une seule position du mobil. C’est seulement pour un être conscient qui les positions se suivent dans une façon harmonique, en constituant un trajet, un se faire qui prend un certain temps et qui ne va pas se broyer dans l’espace. L’idée de temps bergsonien et son devenir, a réalité seulement pour la conscience. C’est la structure de la mémoire qui permet l’organisation dans un « progrès dynamique »46 unique de ce qui dans la réalité est désarticulé dans une série d’états externes les uns aux autres. Dans la conscience, en terme de temps vécu, la durée est une sorte de flux continu, comme « une succession d’états, chacun des quels préannonce ce qui le suit et contient celui qui le précède »47. Similairement à l’« écoulement d’un rouleau », à l’« enroulement continu, comme celui d’un fil sur la boule de ficelle, car notre passé nous suit, et s’accroit sans cesse du présent qu’il recueille sur son chemin »48. Similairement à la « boule de neige » qui s’accroit sur soi même, selon l’image de L’évolution créatrice49. L’experience de la conscience en tant que forme d’organisation dynamique est la durée. La durée est une hétérogénéité d’états de conscience (perceptions, sensations, imaginations, idées) dont caractéristique essentielle est celle de ne se poser pas dans la forme d’une multiplicité distincte, typique d’une succession d’éléments juxtaposés et énumérables, passibles d’être alignées sur un moyen homogène, en créant une queue intermittente d’unités séparées les unes des autres.

Le trait essentiel de la notion bergsonienne de durée est l’idée particulier de continuité qui découle à partir d’elle-même 50: conçus en ces termes, les états de conscience sont à penser en tant qu’éléments d’un devenir radical, qui empiètent les uns dans les autres, en assurent le sens de continuité temporel que chacun de nous reconnait immédiatement. On ne peut pas sancir le début et la fin de chaque état ; ils sont parties d’un devenir et donc ils ne se posent dans l’espace, mais ils se déploient dans le temps.

À plusieurs reprises Bergson souligne la difficulté si non l’insuffisance du langage à décrire cette experience, et à plusieurs reprises il recourt aux images et similitudes pour en explorer à fond le sens. Ça suffit d’évoquer, dans L’évolution créatrice, l’image du collier, dont les plusieurs perles –de plusieurs couleurs- se succèdent les uns les autres, bien tenue ensemble par un fil unique51. Les éléments, qui font la durée, sont parties d’un devenir et au même temps en compénétrés et hétérogènes : ils peuvent se compénétrer, empiéter l’un dans l’autre, nuancer. L’image métaphorique de la couleur, en effet, constitue pour Bergson un exemple privilégié pour s’expliciter : similairement aux couleurs du spectre qui empiètent les unes les autres, ainsi les états de conscience se suivent dans la durée. L’état de conscience ne se définit pour une nette détermination de son durée, comme si on pourrait déterminer avec précision ses extrêmes temporels. C’est la tonalité émotive, la coloration de l’état de conscience, qui définit son personnalité : chaque état a sa couleur. Mais la couleur ne finit pas d’une manière brusque, mais nuance dans celui suivant, en s’imprégnant d’une nouvelle tonalité. En ces termes la séparation entre les états est seulement une opération rétrospective. Il y a plutôt continuité et compénétration.

Les couleurs, toutefois, ne se transforment pas dans une homogénéité aseptique qui fasse les états indifférenciées entre eux même. Même si on ne peut pas opérer une distinction temporel, car ils se compénètrent les uns les autres, on y reconnait la richesse chromatique de l’intériorité, qui n’est pas de tout un procès de monotone prolongement du Même, mais qui se configure plutôt en tant que évolution, en tant qu’accroissement. Cela en raison du fait que les états durent dans leur ensemble, c’est-à-dire se gardent meme lorsqu’ils empiètent. Et se gardent parce que soutenus par la mémoire, qui n’est pas simple archivage du passé, mais accroissement constant e nouveau, qu’empêche qu’un états psychologique puisse se répéter, car chaque fois qu’il apparait diffère de son précédent apparition. En ce sens, dit Bergson, « le même moment ne se présente pas deux fois »52. La durée continue et hétérogène se constitue, en cette façon, en tant que devenir radicale qui ne connait pauses, qui parcourt moments toujours nouveaux et donc imprévisibles :

Les éléments psychologiques, même les plus simples, ont leur personnalité et leur vie propre, pour peu qu’ils soient profonds ; ils deviennent sans cesse, et le meme sentiment, par cela seul qu’il se répète, est un sentiment nouveau53.

[…] l’hypothèse d’un retour en arrière devient inintelligible dans la région des faits de conscience. Une sensation, par cela seul qu’elle se prolonge, se modifie […] Le même ne demeure pas ici le même, mais se renforce et se grossit de tout son passé. Bref, si le point matériel, tel que la mécanique l’entend, demeure dans un eternel présent, le passé est une réalité pour les corps vivants peut-être, et à coup sûr pour les êtres conscients54.

Réfractaire à toute idée de mesure, la durée est le mouvement qualitatif pur et continu où la conscience radicale, synonyme de la vie – comme le dit L’évolution créatrice – invente le réel : comme pour une explosion, qui, à partir d’un point, s’engendre soi-même comme différence avec soi, pure qualité sans substance préalable. C’est en ce sens, dit Trotignon, que la durée, mouvement universel qui explose à travers l’histoire de la vie, puis à travers l’histoire des hommes, « réhabilite, sans tomber dans une théologie négative, les hypothèses 1, 5, 7, et 9 où l’Un est Un sur le mode de l’autrement qu’être »55.

Pour encore mieux écraseur le sens de cette idée portante de toute sa pensée, Bergson recourt dans plusieurs lieux de son écriture à la similitude de la mélodie56. Similairement à la musique, notre durée intérieure se découle dans le temps, non pas une fois pour toutes. En revanche, son essence est temporelle. Une note n’est pas la meme si elle dure quelque instant, ou si on se la prolonge longuement : à la meme façon, la durée modifie les états de conscience. Similairement à la musique, notre temps intérieur est invisible et il est défini essentiellement par la tonalité émotive : les états qui se croisent comme notes et se structurent comme hauts et bas, dans leur ensemble s’organisent harmoniquement en créant une symphonie unique, à savoir notre histoire personnelle. C’est ce qui arrive, écrit Bergson dans l’Essai,

quand nous nous rappelons, fondues pour ainsi dire ensemble, les notes d’une mélodie. Ne pourrait-on pas dire que, si ces notes se succèdent, nous les apercevons néanmoins les unes dans les autres, et que leur ensemble est comparable à un être vivant, dont les parties, quoique distinctes, se pénètrent par l’effet même de leur solidarité ? La preuve en est que si nous rompons la mesure en insistant plus que de raison sur une note de la mélodie, ce n’est pas sa longueur exagérée, en tant que longueur, qui nous avertira de notre faute, mais le changement qualitatif apporté par là à l’ensemble de la phrase musicale57.

On a donc une organisation similaire entre les états de conscience, « comme font les notes successives d’une mélodie par laquelle nous nous laissons bercer »58. Les sons, à savoir, « se composaient entre eux, et agissaient, non pas par leur quantité en tant que quantité, mais par la qualité que leur quantité présentait, c’est-à-dire par l’organisation rythmique de leur ensemble »59. C’est « comme qualité e non pas comme quantité » que la durée se présente à la conscience immédiate, avant d’être substituée d’une chevauchement symbolique tirée par l’extension. Pour faire cela, il faut un effort, un effort d’attention rétrospective pour entendre les sons singulier aperçues fondus entre eux meme et représentés par le sens commun comme une succession spatialisée.

3. Mélodie et note fausse

Pourquoi alors la mélodie et la note fausse d’où le titre de cet essai, et quel est le jeu implicite entre eux-mêmes ? Là où Bergson, comme dit Jean-Louis Vieillard-Baron, opposait la durée du moi au déterminisme, et nous montrait « la liberté occupant les lacunes du déterminisme scientifique, Levinas, penseur tragique, oppose notre durée concrète à la fatalité »60. L’image de la mélodie, alors, en son rapport à la singulière note, peut nous éclairer plus encore les dynamiques en jeu ici. Si dans la mélodie bergsonienne, métaphore de la durée, à travers un « effort vigoureux d’analyse »61 on reconnait que la qualité ( propriété de la durée elle-même ) est la cause de la quantité privée de qualité, c’est qu’on veut souligner c’est le rapport entre d’un coté le sens d’unité et continuité de la durée, la compénétration qui constitue sa structure interne, similaire à la stricte adhérence qui s’engendre levinassienement entre existence et existant, et de l’autre coté les éléments singuliers et leur spécificité, leur chiffre de propreté, d’hétérogénéité, leur caractère de nouveauté et donc de liberté, similairement à l’effort de singularisation opéré par l’acte de position de l’hypostase de Levinas. On pourrait dire que chez les deux penseurs le rapport entre les deux mouvements demeure ouverte : en tension entre continuité et écart, entre écoulement et effort d’arrêt. Toutefois Levinas conçue toute cela au-delà de Bergson, (s’il manque la dimension active de sa pensée en mettant en parenthèse son ‘pragmatisme’ )62. Et voilà, comme en contrepoint aux lignes bergsoniennes sur la mélodie, la comparaison musicale de la mélodie et de la « note fausse », présent exactement au cœur de la description levinassienne de la subjectivation du sujet, c’est à dir au cœur de l’analyse du surgit de l’hypostase au sein de l’être. On peut lire dans De l’existence à l’existant :

En écoutant une mélodie, nous suivons également sa durée d’une façon intégrale. Sans tenter l’analyse des phénomènes musicaux complexes, nous pouvons dire que les instants de la mélodie n’existent que dans la mesure où ils s’immolent à la durée qui, dans la mélodie est essentiellement continuité. Pour autant que la mélodie est vécue musicalement, qu’elle n’est pas contrôle exercé par le professeur qui écoute son élève, c’est-à-dire travail et effort, il n’y a pas d’instants dans la mélodie. Elle est le modèle parfait sur lequel Bergson a calqué la durée pure. On ne saurait contester qu’on puisse fractionner la durée musicale en éléments et qu’on puisse compter ses éléments. Mais chaque instant ne compte pas. Les instants de la mélodie ne sont là pour mourir. La fausse note est un son qui se refuse à la morts63.

Par contre, finalement reste que le parangon musical de la « note fausse » conçu en ces années par Levinas en contrepoint a celui-là bergsonien de la mélodie, nous donne en concret la chiffre de l’opération mise en point par le philosophe. Si à travers les concept de fatigue et d’effort – d’une manière explicite chez Levinas - on a cherché de montrer la tension entre les deux tendances dont l’experience subjective s’empreigne, la comparaison de la mélodie et de la note nous offre une image efficace de cela. La chiffre de spécificité de la note, que Levinas imagine plus forcement « fausse », est le tentative de forcer l’attention sur le deuxième versant de cette tension. Meme si Bergson en réalité ne sacrifie pas la note à la mélodie, en soulignant son aspect qualitativement de différence avec ses similaires, Levinas tient à insister plus encore. Le problème qui pour lui se pose est d’échapper d’une dimension inamovible et définitive où l’existence soit le synonyme de destin, d’existence dominée par la maîtrise des lois qui vont au-delà de la liberté de l’individu. L’image de la mélodie pourrait incarner alors exactement ce que Levinas regardait avec horreur : l’idée d’un flux homogène et bien cohérent, un ensemble, un tout entier où les parties sont parties de l’entier, dominées par les lois de l’entier et à lui offrent leur propre rôle pour l’efficacité du résultat finale ; certainement, une belle mélodie dans sa durée est charmante et ravissante à écouter, mais ce qui intérêt Levinas sont les éléments singuliers, ces qui font de cette dernière une belle mélodie. Mais, dit-il, ils « n’existent que dans la mesure où ils s’immolent à la durée qui, dans la mélodie est essentiellement continuité »64. On a perdu de vue ses éléments, c’est comme si « chaque instant ne compte pas. Les instants de la mélodie ne sont là que pour mourir ». À l’envers, la fausse note est « un son qui se refuse à la mort », un élément qui refuse la réabsorption dans le tout entier. N’a pas d’importance ici, aux fins de la beauté de la mélodie, en effet s’il s’agit d’une note désaccordée ou accordée, mais le fait qu’elle a eu la liberté d’être soi, d’assumer soi même et d’incarner une existence autonome de la mélodie, même si à dépit d’elle-même. Les deux mouvements, entre continuité et adhérence à l’être et l’effort de singularisation qui chez Bergson coexistent, à la fin chez Levinas résistent dans leur duplicité ambiguë mais en basculant envers le deuxième versant. C’est surtout l’unicité et la singularité de l’individu qu’il faut garder, la question de son commencement, son pouvoir de rupture et le geste de son effort d’être, son pouvoir d’être capable des actes libres.


  1. Pour une reconstruction des rapports entre Levinas et Bergson, cf. E. Levinas, Éthique et infini. Dialogues avec Philippe Nemo, Fayard, Paris 1982, Livre de Poche, LGF, Paris 1986, pp. 22-23; E. Levinas- F. Poirié, Essai et entretiens, Actes Sud, Le Méjan 1996, pp. 74-75; E. Levinas, Hommage à Bergson, in Id., Carnets de captivité et autres inédits, Œuvres 1, pr. par R. Calin e C. Chalier, Grasset&Fasquelle, IMEC Editeur, 2009, pp. 217-219 ; E. Levinas, Dieu, la Mort et le Temps, pr. par J. Rolland, Grasset, Paris 1993, Livre de Poche, LGF, Paris 1995, pp. 64-66. Cf. aussi E. Levinas, De l’existence à l’existant, Fontaine, Paris 1947; 2ᵃ ed. Vrin, Paris 1978, p. 41; E. Levinas, Le Temps et l’Autre, Puf, Paris 1983, pp. 71-72. Pour un approfondissement du sujet, cf. J.-L. Vieillard-Baron, Levinas et Bergson, in ‘Revue Philosophique de la France Et de l’Etranger’ 2010, 4, Tome 135, pp. 455-478; P. Trotignon, Autre voie, même voie, Levinas et Bergson, dans C. Chalier et M. Abensour (Ed.), Emmanuel Levinas, Paris, Cahier de l’Herne, 1991, pp. 285-305. Enfin, un collectif, récemment publié pour les Éditions Manucius, a le mérite de reconduire encore l’attention des chercheurs aux liens entre les deux philosophes (AA. VV., Bergson, Jankélévitch, Levinas, sous la dir. de F. Bastiani, Manucius, Paris 2017). ↩︎

  2. Cf. E. Levinas, Éthique et infini, cit., pp. 23-24. ↩︎

  3. E. Levinas, Carnets de captivité et autres inédits, cit., pp. 217-219. ↩︎

  4. Ivi, p. 217. ↩︎

  5. E. Levinas- F. Poirié, Essai et entretiens, cit., p. 74. ↩︎

  6. En particulier cf. Essai sur les donnés immédiates de la conscience et L’évolution Créatrice. ↩︎

  7. J.-L. Vieillard - Baron, Levinas et Bergson, cit., pp. 455-456. « Habituellement, comme Merleau-Ponty et après Victor Delbos, on privilégie Matière et Mémoire considéré comme le plus dense, le plus serré ou bien L’Évolution créatrice, ce que font Raymond Ruyer, Georges Canguilhem ou ses adversaires, le Père de Tonquédec, Maritain, ou encore le vaste public des créateurs en matière artistique, qui voyaient la synthèse complète du bergsonisme comme philosophie de la vie et de la création, ou bien encore, si on est orienté vers la philosophie pratique, Les Deux Sources de la morale et de la religion » (Ivi, p. 456). ↩︎

  8. Cfr. E. Levinas, Le Temps et l’Autre, cit., pp. 25-26. ↩︎

  9. Ivi, p. 26. «Imaginons le retour au néant de tous les êtres: choses et personnes. […] Quelque chose se passe, fût-ce la nuit et le silence du néant. L’indétermination de ce « quelque chose se passe », n’est pas l’indétermination du sujet, ne se réfère pas à un substantif. Elle désigne comme le pronom de la troisième personne dans la forme impersonnelle du verbe, non point un auteur mal connu de l’action, mais le caractère de cette action elle-même qui, en quelque manière, n’a pas d’auteur, qui est anonyme. Cette ‘consumation’ impersonnelle, anonyme, mais inextinguible de l’être, celle qui murmure au fond du néant lui-même, nous la fixons par le terme d’il y a. L’il y a, dans son refus de prendre une forme personnelle, est l’’être en général’ » (E. Levinas, De l’existence à l’existant, cit., p. 81). En termes similaires, dans Le Temps et l’Autre, Levinas nous offre une parallèle description de l’il y a (cf. E. Levinas, Le Temps et l’Autre, cit., pp. 25-26), « […] comme le lieu où tout a sombré, comme une densité d’atmosphère, comme une plénitude du vide ou comme le murmure du silence. […] Et c’est anonyme : il n’y a pas personne ni rien qui prenne cette existence sur lui » (Ivi, p. 26). ↩︎

  10. E. Levinas, De l’existence à l’existant, cit., p. 81. Si évidemment, la conscience, en tant qu’hypostase, est une « rupture de la vigilance anonyme de l’il y a », on pourrait se demander en quelque modalité, et pour quelle raison on passe de la première experience d’être pur à le surgissement de la subjectivité en tant que événement de rupture au sein d’elle-même. La réponse a cette éventuelle question résonne directement dans le texte levinassien, qui, dans les pages des conférences du 1948, soutient seulement que l’hypostase « se réfère à une situation où un existant se met en rapport avec son exister. Nous ne pourrons évidemment pas expliquer pourquoi cela se produit; il n’existe pas de physique en métaphysique. Nous pouvons simplement montrer quelle est la signification de l’hypostase » (E. Levinas, Le Temps et l’Autre, cit., p. 31). ↩︎

  11. Cf. P. A. Rovatti, Préface à l’édition italienne, dans E. Levinas, Dall’esistenza all’esistente, Marietti, Genova 1986, p. XIV. ↩︎

  12. E. Levinas, De l’existence à l’existant, cit., p. 101. ↩︎

  13. E. Levinas, Carnets de captivité et autres inédits, cit., , <p. 1> du ‘Cahier 5’. p. 153 . ↩︎

  14. E. Levinas, De l’existence à l’existant, cit., p. 101. ↩︎

  15. Ibidem. Le ‘soi’, la possibilité d’un repliement sur soi en tant que soustraction au domaine de l’être, constitue pour Levinas le geste meme de la «localisation», la «relation avec le lieu comme base» (Ivi, p. 102). Les dernières pages du texte du 1947 visent à thématiser la nécessité de la localisation, du rapport au lieu, et par conséquence, le strict connexion avec la matérialité du corps, condition incontournable de la position de la conscience et évidemment de la subjectivité elle-même (cf. Ivi, pp. 102-105; 117-118). ↩︎

  16. E. Levinas, De l’existence à l’existant, cit., p. 105. ↩︎

  17. E. Levinas, Carnets de captivité et autres inédits, cit., <pp. 47–52> du ‘Cahier 4’, pp. 132-133. Dans les pages suivantes Levinas se réfère à Jean Jankélévitch, et en particulier au troisième chapitre de son texte L’Alternative, Alcan, Paris 1938. Ici, malgré on ne se retrouve pas le terme ‘il y a’, les descriptions de la noie en tant que « le ‘plein du vide’, l’être du Néant » (Ivi, p. 153 ; 905) semblent renvoyer à la notion levinassienne de il y a. Et en plus, à la page 182, Jankélévitch associe la noie à l’insomnie, notion à travers laquelle Levinas cherchera de approcher l’idée de il y a. Levinas écrit : « Lecture de Jankélévitch. Il connait le phénomène du recul, mais cela pour lui ne devient pas la clé d’une théorie du temps. Il ne le reconduit à la position dans laquelle on le se retrouve dans tout phénomène comme inséparable de l’effort. Pour lui celui reste un phénomène d’action et non pas de position. Il n’arrive pas donc à y envisager rien de plus profond de l’alternative. Il ne voie pas que c’est la notion même d’étant qui est en cause, de commencement, de sujet » (E. Levinas, Carnets de captivité et autres inédits, cit., <pp. 52-53> du ‘Cahier 4’ p. 133). Et plus encore : « Chez Jankélévitch la réalité de l’il y a apparait uniquement comme le poids de l’existence pour la personne – comme la noie. Selon moi, ce qui est important est le plain même de l’il y a. Il ne s’agit pas de l’inesplicabilité de l’existence – la Geworfenheit – mais de l’impossibilité de mourir » (Ivi, <p. 17> du ‘Cahier 2’, pp. 79-80 ). ↩︎

  18. Cf. E. Levinas, De l’existence à l’existant, cit., p. 26. ↩︎

  19. Ivi, p. 27. ↩︎

  20. Ibidem. ↩︎

  21. Ibidem. ↩︎

  22. Ivi, pp. 37-38. ↩︎

  23. Ivi, p. 38. ↩︎

  24. Ivi, p. 39. Plus encore, Levinas continue : « La traduction en langage physique de cette dualité sous forme de deux vecteurs de sens contraires ne remplace pas la description du fait concret de l’effort et de sa dialectique interne où le moment créateur s’aventure en quelque manière au-delà de la possession dont la fatigue marque la limite et la charge en retardant l’élan » (Ibidem). ↩︎

  25. Cf. Ivi, p. 40. ↩︎

  26. Ivi, p. 44. ↩︎

  27. Ivi, p. 45. ↩︎

  28. Ibidem. ↩︎

  29. Ivi, p. 42. ↩︎

  30. Ivi, p. 43. ↩︎

  31. Ibidem. ↩︎

  32. E. Levinas, De l’existence à l’existant, cit., p. 43. ↩︎

  33. E. Levinas, Carnets de captivité et autres inédits, cit., <p. 22> du ‘Cahier 7’, pp. 184-185. ↩︎

  34. Ivi, <pp. 22-23 du ‘Cahier 7’, p. 185. ↩︎

  35. OE 1, p. 144, <p. 21> du ‘Cahier 5’. ↩︎

  36. Cf. E. Levinas, De l’existence à l’existant, cit., p. 45. ↩︎

  37. Cf. E. Levinas, Hommage à Bergson, in OE 1, p. 217. ↩︎

  38. Ivi, p. 218. ↩︎

  39. Ibidem. La philosophie « nouvelle » de Bergson, selon Levinas, consistait « dans la notion de durée, dans la notion d’invention, dans toute la mise en question de la substantialité et de la solidité ; la mise en question de la notion d’être, un peu au-delà de l’être et autrement qu’être, toute la merveille de la diachronie ; la manière dont, dans l’homme de notre époque, le temps c’est plus simplement une éternité qui s’est brisée, ou le raté de l’éternel, toujours se référant à du solide, mais au contraire l’événement même de l’infini en nous, l’excellence même du bien. [..Et surtout] la temporalité, sa supériorité sur l’ ‘absolu’ de l’éternel, et dont l’humanité de l’homme n’est pas le produit contingent, mais l’effectuation originelle ou l’articulation initiale » (E. Levinas- F. Poirié, Essai et entretiens, cit., p. 75). Dans Dieu, la Morts et le Temps on lit : « Tout l’Occident approche le temps par la mesure (le temps est le nombre du mouvement, dit Aristote) . Pour Bergson, le temps linéaire est spatialisation du temps en vue de l’action sur la matière, laquelle est l’œuvre de l’intelligence. » (E. Levinas, Dieu, la Morts et le Temps, Livre de Poche, LGF, Paris 1995, p. 65). ↩︎

  40. Bergson lui-même, dans sa correspondance avec W. James, disait : « À mon avis, tous résumé des mes vues les déformera dans leur ensemble et les exposera, par là même, à une foule d’objections, s’il ne renvient pas sans cesse à ce que je considère comme le centre même de la doctrine : l’intuition de la durée » (Mélanges, édition d’André Robinet, Paris, Puf 1972, Lettre à Harald Höffding du 15 mars 1915, p. 1148). C. Migliaccio écrit : « La durée réelle est le vrai centre de toute entière la philosophie de Bergson, le ‘nœud de la question’, d’où s’irradient tous les aspects de sa pensée » (C. Migliaccio, Invito al pensiero di Bergson, Mursia, Milano 1994, p. 97. Dans l’Essai des donnés immédiats de la conscience, où le philosophe introduit la notion de durée et certaines anticipations de sa pensée, Bergson convergeât des thèmes classiques du spiritualisme français : de l’irriducibilité de la conscience à la connaissance matematico- scientifique à la priorité reconnue à l’intuition immédiate de soi même à travers l’introspetion. ↩︎

  41. Cf. P. Trotignon, Autre voie, même voix, cit., p. 285. ↩︎

  42. E. Levinas, Dieu, la Morts et le Temps, cit., p. 65. ↩︎

  43. H. Bergson, Essai des donnés immédiats de la conscience, Éditions Albert Skira, Genève 1945, p. 90. ↩︎

  44. Ivi, p. 174. ↩︎

  45. Ivi, 98. ↩︎

  46. Ivi, p. 101. ↩︎

  47. H. Bergson, Introduction à la métaphysique, cit., p. 4. ↩︎

  48. Ivi, p. 5. ↩︎

  49. H. Bergson, L’évolution créatrice, Presses Universitaires de France, Paris 1957, p. 2. ↩︎

  50. C’est ce caractère de continuité temporelle qui justifie l’usage du terme ‘durée’, qui à un premier achit semblerait incompatible avec la thèse du devenir radical qui Bergson professe. C’est vrai, comme V. Jankélévitch soutien (Id., Henri Bergson, PUF, Paris 1959 ; tr. it. De G. Sansonetti, Morcelliana, Brescia 1991, p. 102 n. 38) qui « durée », à différence du terme « temps », implique un verbe, et donc exprime mieux la nature transitive du devenir ; mais c’est aussi vrai - il continue - que la signification immédiate du terme est celle de permanence, plus que d’innovation. Toutefois, c’est plutôt la conservation (la mémoire) qui, selon Bergson, permet paradossalement l’innovation. ↩︎

  51. Cf. H. Bergson, L’évolution créatrice, p. 3. ↩︎

  52. H. Bergson, Essai des donnés immédiats de la conscience, p. 155. Et à la page 139 « les faits psychiques se présentent à la conscience une seule fois, pour n’apparaitre jamais ». ↩︎

  53. Ivi, pp. 155-156. ↩︎

  54. Ivi, p.123. ↩︎

  55. P. Trotignon, Autre voie, meme voix, cit., p. 296. ↩︎

  56. L’organisation des états de la conscience est comme celle des notes d’une mélodie (cf. H. Bergson, Essai des donnés immédiats de la conscience, cit., pp. 84-85. La similitude retourne avec le référence à la mélodie « par laquelle nous nous laissons bercer » (Ivi, p. 87) à la phrase musicale (Ivi, p. 85, 88, 103-104), à la phrase mélodique (Ivi, p. 73) à la mélodie indivisible où s’organisent les perceptions externes (Ivi, pp. 101-102). ↩︎

  57. Ivi, p. 85. ↩︎

  58. Ivi, p. 87. ↩︎

  59. Ivi, p. 88. ↩︎

  60. J.-L. Vieillard-Baron, Levinas et Bergson, cit., p. 458. ↩︎

  61. H. Bergson, Essai sur les donne immédiates de la conscience, cit., p. 104. ↩︎

  62. J.-L. Vieillard-Baron, Levinas et Bergson, cit., p. 458. ↩︎

  63. E. Levinas, De l’existence à l’existant, cit., p. 41. ↩︎

  64. Ivi, p. 46. ↩︎